Pierre Szalowski : Briser la glace
Pierre Szalowski, publicitaire et scénariste, fait paraître un premier roman qui revisite la crise du verglas de 98: Le froid modifie la trajectoire des poissons.
C’est une trajectoire pas banale qui a mené Pierre Szalowski à l’écriture romanesque. Photographe de presse, journaliste, graphiste, directeur de création dans le monde de la pub, concepteur de logiciels éducatifs, producteur de jeux vidéo et un temps vice-président d’Ubisoft, ce fieffé touche-à-tout mettait ses autres activités en veilleuse, en 2002, pour se consacrer à la scénarisation. Premier fruit de cette bifurcation professionnelle: le film Ma fille, mon ange, paru plus tôt cette année.
Aujourd’hui, Pierre Szalowski fait le saut en littérature avec le non moins cinématographique Le froid modifie la trajectoire des poissons, la touchante histoire d’un gamin de 10 ans qui refuse obstinément la séparation de ses parents.
Quand il apprend la mauvaise nouvelle, en effet, notre petit héros prie le ciel de lui venir en aide. Il se trouve que son appel est entendu, pour le meilleur et pour le pire: le lendemain, 5 janvier 1998, une historique pluie verglaçante s’abat sur le Québec. Pour tout le voisinage, à mesure que les pannes de courant se généralisent, c’est le branle-bas de combat. Le taciturne Boris, un mathématicien russe vivant en quasi-ermite, panique rapidement: c’est le coeur de sa géniale thèse de doctorat qui est en péril, lui qui étudie le comportement de quatre poissons dans une eau rigoureusement maintenue à 32 degrés. "Les poissons exotiques de Boris Bogdanov lui permettaient de réfléchir à sa nouvelle théorie. Un poisson dans un aquarium a toujours le même parcours, sa ficelle à lui. Il la déroule en fonction de la présence des autres poissons, amis ou ennemis, dans l’aquarium. Il doit également modifier son chemin rituel à l’arrivée de tout nouveau locataire."
Par un concours de circonstances, le savant va se réfugier avec sa petite faune aquatique chez Julie, la belle danseuse désabusée des hommes, chez qui l’électricité, miraculeusement, n’a pas été coupée. De leur côté, Alex et son père Alexis, un musicien frustré qui regarde le temps passer en maugréant contre les juifs et les homosexuels, vont être secourus par Michel et Simon, ceux que tout le quartier prend pour deux frères, mais qui cachent des rapports bien plus étroits… Pendant ce temps, le père du grand responsable de la tempête se débrouille tant bien que mal dans le chalet où il s’est enfermé après avoir quitté sa femme, et le jeune narrateur a bien l’impression que voulant l’aider, le ciel n’a fait que compliquer les choses.
Ce roman tonique et très drôle est construit autour d’une idée forte, qui réveillera bien des souvenirs chez les Québécois. Et la métaphore des poissons dans leur bocal, pour lesquels un changement d’environnement va se traduire par un changement de comportement, est une bien jolie trouvaille. Bon, l’intelligence manifeste de l’auteur et son indéniable sens du rebondissement ne font pas toujours oublier certaines maladresses dans le récit des péripéties ni quelques incongruités quant au registre des niveaux de langue exploités, mais l’implacable découpage de l’action et la sympathie vraie que nous inspirent ces personnages forcés de briser leur routine ont l’effet escompté: de ce livre, on ne fait qu’une bouchée.
Et si je ne reçois pas d’ici quelques mois un communiqué annonçant que cette histoire sera bientôt portée à l’écran, je change de job…
Le froid modifie la trajectoire des poissons
de Pierre Szalowski
Éd. Hurtubise HMH, 2007, 296 p.
À voir si vous aimez /
Le film La Grande Séduction, de Jean-François Pouliot et Ken Scott.