Jacques Julien : La société du spectacle
L’essayiste Jacques Julien analyse les outils grâce auxquels Richard Desjardins, consciemment ou pas, exerce un rôle social déterminant. Nous lui avons parlé.
"Normalement, dit Jacques Julien, mes livres ne plaisent pas aux artistes dont je parle. Ni à ceux qui relaient ce que disent ces artistes, car ce n’est pas seulement admiratif." C’est aussi difficile, admet-il, de rejoindre le public, qui préfère la biographie à l’essai. Il faut dire que les gens se sentent très liés aux artistes qui les touchent, particulièrement lorsque ces derniers parlent directement et avec brio de leurs préoccupations dans une langue aussi belle qu’intimement proche (en apparence du moins) de la leur.
Le lecteur n’a pas le goût d’être confronté lorsqu’il plonge dans un ouvrage sur son artiste préféré. Mais celui ou celle qui s’intéresse à une vision de la "société du spectacle", aux mécanismes politiques et sociaux d’un produit culturel comme à une analyse des procédés médiatiques teintée des théories du philosophe Walter Benjamin risque bien d’y trouver son compte. "L’intention de ce livre est de favoriser une discussion, de se donner un lieu de perspectives d’où on peut parler de la chose."
Ayant une formation en études médiévales, Julien s’est d’abord intéressé à la question par le biais du poème Lomer. "Je trouvais cette espèce de pastiche du style de Villon assez étonnante dans la production de Richard Desjardins." Il s’est aussi aperçu que le sujet (l’amour d’un homme pour un autre) était assez exceptionnel dans la thématique de Desjardins et dans la chanson québécoise en général. "Comme Lomer avait un impact sur une question sociale – l’homosexualité -, j’ai étoffé en lisant les autres textes de Desjardins sous le même angle d’observation."
CAPITAL CULTUREL
Très conscient que Lomer est une étrange porte d’entrée pour approfondir le phénomène Desjardins, Julien poursuit: "C’est assez mineur dans sa production, mais ma direction s’est vraiment précisée à travers les réflexions de Benjamin sur la reproductibilité." La mécanique de la mise en marché, entre autres, est ici tellement disséquée que la notion d’authenticité, sans être remise en question fondamentalement, se trouve ébranlée sur le plan de la perception populaire et de la mythologie de l’artiste qui s’y rattache: "Étant donné que la chanson est un produit culturel mis en marché, il y a une démarche contradictoire, car le contenu des chansons et le personnage de Desjardins se présentent avec beaucoup d’authenticité et de franchise. Comme Walter Benjamin le laisse entendre, l’authenticité devient elle aussi un produit. Donc, on met en marché l’authenticité même, et une partie du livre analyse comment Desjardins a construit son capital culturel (de manière normale et non comme une machination machiavélique: ça fait partie du métier) pour finalement être assez connu pour mener des combats autrement."
Richard Desjardins, l’activiste enchanteur
de Jacques Julien
Éd. Triptyque, 2007, 168 p.
COUP DE COEUR
Ap. J.-C. de Vassili Alexakis. "Parce qu’il aborde la question de la culture ancienne tout en plaçant cet héritage dans la culture contemporaine." Note: l’histoire de ce livre débute dans l’Athènes d’aujourd’hui pour basculer mille ans auparavant, au coeur du christianisme d’alors.