Michel Tremblay : Train de vie
Avec La Traversée du continent, son nouveau roman, Michel Tremblay nous entraîne pour la toute première fois dans l’enfance de sa mère, cette chère Nana que l’on croyait si bien connaître.
L’an dernier, à peine remis d’une importante intervention chirurgicale, Michel Tremblay s’était lancé dans l’écriture d’un roman fantastique, un genre qu’il n’avait pas pratiqué depuis la fin des années 60. Avec Le trou dans le mur, l’écrivain exorcisait ses démons, affrontait le sujet tabou de la mort. Avec La Traversée du continent, son nouvel opus, l’homme continue de surprendre ses nombreux et fidèles lecteurs en s’aventurant pour la première fois dans le créneau du roman historique. Cette fois, l’écrivain ose imaginer, pour ne pas dire fantasmer, une étape déterminante de l’enfance de sa mère Rhéauna. L’heure est enfin venue de découvrir les premières années de celle qui deviendra la Grosse femme, un personnage auquel Tremblay a donné naissance il y a maintenant presque 30 ans.
UN ROMAN D’APPRENTISSAGE
En 1913, à Sainte-Maria-de-Saskatchewan, une petite enclave francophone catholique au milieu d’un monde d’anglophones protestants, la petite Rhéauna, 10 ans, apprend de la bouche de sa grand-mère que sa mère, ouvrière dans une usine, souhaite l’avoir près d’elle à Montréal. En train, de Saskatoon à Montréal, via Regina, Winnipeg, Toronto et Ottawa, la fillette goûte un véritable périple. Sur sa route, elle croise sa grand-tante Régina, sa grand-tante Bebette et sa petite-cousine Ti-Lou, trois femmes qui la marqueront à jamais, autant de portes ouvertes sur des mondes inconnus.
Avec ce voyage initiatique, brillamment construit, c’est un pur roman d’apprentissage que Tremblay livre. "Dans sa traversée du continent, explique-t-il, Nana va apprendre et deviner des tas de choses sur chacun des personnages qu’elle va rencontrer. Quand elle va arriver au bout de la ligne, elle ne sera plus la même. Elle ne sera pas une adulte, elle ne sera pas une adolescente, elle va toujours être une enfant, mais elle va avoir appris des choses de la vie dont elle ne soupçonnait même pas l’existence."
En marge du récit initiatique, l’oeuvre aborde la question cruciale de l’exil, à commencer par celui des Québécois vers l’Ouest canadien. "C’est aussi un roman sur la diaspora des francophones, précise Tremblay. On a beaucoup parlé de ceux qui sont allés vers le Sud dans les manufactures de coton, mais on a peu parlé de ceux qui sont partis vers l’Ouest. Le périple de Nana, c’est aussi le retour au bercail de tous ces Québécois qui ont eu à s’expatrier pour gagner leur vie."
Malgré le caractère historique de son roman, l’écrivain, qui est déjà engagé dans une suite qui se déroulera un mois avant le déclenchement de la Première Guerre, se défend bien d’être soumis à quelque réalité que ce soit. "Je ne suis pas un reporter, je ne suis pas un journaliste. Comme le dit Claude dans Le Vrai monde? (une pièce qui est actuellement à l’affiche chez Duceppe), je me sers de la réalité pour dire les choses que j’ai à dire. C’est ma vision de la vie. Peut-être que j’ai le droit, peut-être que non, je ne sais pas. Je suis peut-être un écoeurant, je suis peut-être un vampire, mais je pense que la seule excuse à l’existence d’une oeuvre d’art, quelle qu’elle soit, c’est la qualité. Tu as le droit de te servir de la vie de ta mère, si la pièce ou le roman que tu écris est bon. C’est l’alibi qu’il faut que je me donne."
RELATION DE CONFIANCE
Depuis 1969, Michel Tremblay est publié chez Leméac, une maison qui célèbre, cette année, un demi-siècle d’existence. C’est ce qu’on appelle de la fidélité. "Je suis comme ça, lance-t-il. Je suis fidèle, en amour, en amitié et ailleurs. J’aime mieux être représenté par un seul éditeur que de me promener un peu partout. Comme je m’entendais bien avec M. Leméac au départ, avec Yves Dubé ensuite et maintenant avec Pierre Filion, je n’ai aucune raison au monde d’aller voir ailleurs."
Mentionnons en terminant que le très beau documentaire d’Adrian Wills, Entre les mains de Michel Tremblay, vient de paraître en DVD. En plus du film, qui nous entraîne de Glasgow à Tokyo en passant par Key West et Montréal, on trouve dans les suppléments des confessions de l’écrivain à propos de son père, des images du TremblayFest qui a eu lieu à Winnipeg en 2005 et des révélations de Wajdi Mouawad sur la genèse de la pièce L’Impératif présent.
La Traversée du continent
de Michel Tremblay
Éd. Leméac/Actes Sud, 2007, 288 p.
COUP DE COEUR
Sachant que Michel Tremblay est un insatiable lecteur, on lui a demandé de nous faire une suggestion littéraire. Il a choisi La Soeur de Judith, le cinquième roman de Lise Tremblay (La héronnière), paru il y a peu aux Éditions du Boréal. "C’est splendide. C’est aussi une histoire d’apprentissage, celui d’une petite fille du Saguenay qui s’apprête à changer d’école, donc changer de ville, donc changer de vie, et qui ne veut pas. C’est vraiment très très beau."