Jean-Marc Massie : Une île, une ville
Jean-Marc Massie fixe la folie de sa parole galopante en un livre-DVD hirsute et beau, singulier hommage à la métropole. Entrevue.
Je viens de découvrir un nouveau sport extrême: réaliser une entrevue avec un conteur. Avec un romancier, un essayiste, voire un poète, on peut préparer le coup en laissant juste ce qu’il faut de place au hasard, à la spontanéité. Mais avec un conteur, c’est une autre histoire. Et sans doute devrais-je écrire histoire au pluriel, tant chaque mot, chaque expression devient une porte possible vers un univers entier.
Jean-Marc Massie est un conteur. Un vrai de vrai. Qu’importe si la vie l’a mené dans mille directions, ce docteur en science politique de la Sorbonne, ex-chanteur de la formation Pervers polymorphe, cofondateur des Dimanches du conte de la brasserie Le Sergent recruteur (avec André Lemelin), est d’abord un homme de la parole, de la scène et du geste.
Une entrevue avec Jean-Marc Massie, donc, c’est ni plus ni moins du sport extrême. "Je parle tout le temps, il n’y a rien à y faire", convient-il. Or, on a bien envie de l’écouter, parce qu’il en va de même dans ses propos que dans son oeuvre, et Montréal démasquée en est le parfait exemple: on ne sait pas toujours où ça nous mène, mais on sait qu’on s’en va quelque part.
LA DERIVE DES CONTINENTS
Bien qu’elles se retrouvent parfois sur papier, fixées noir sur blanc, c’est bel et bien à l’oral que naissent les histoires de Massie. "À l’origine de Capitão, par exemple, il y a une soirée passée avec mon ami Jocelyn Bérubé, à Cap-Saint-Ignace. Le porto coulait sauvagement, et nous nous sommes mis à délirer autour de cette idée: et si nous descendions, nous Québécois, d’esclaves africains…" Une piste était ouverte, et ce n’est qu’au bout de longues pérégrinations de l’imaginaire que l’histoire a trouvé sa forme écrite. "Ne me mettez pas devant une page blanche, moi… J’aimerais bien m’installer avec une chandelle et prête-moi ta plume, mais disons que je n’ai pas le profil de l’écrivain romantique!"
Dans ce conte aussi fou que profond, dont l’exubérance ne dissimule en rien une corrélation avec le flou identitaire québécois, Jean-Marc Massie nous raconte l’étrange épopée qui a mené un groupe de guerriers wallofs à s’engager dans le Saint-Laurent, bien avant l’arrivée de Jacques Cartier. Sans vendre la mèche au complet, on peut dire que Capitão nous montre tout à la fois les impénétrables voies de nos origines, la réelle genèse des tams-tams du Mont-Royal et nous fait voir sous un jour étonnant la bien connue formule "nègre blanc d’Amérique"!
L’INFIDELE
Quand on lui parle de la production du DVD accompagnant Montréal démasquée, Massie ne cache pas qu’elle a posé de nombreux défis esthétiques et techniques. "Plusieurs conteurs ne se sont pas gênés pour me dire, d’ailleurs, que c’était un peu contre-nature. Le spectacle de conte, est-ce que ce n’est pas d’abord une réponse aux grosses productions télévisuelles, une fête de la parole sans artifices? C’est vrai, mais je crois qu’on peut rendre l’essence du conte, à travers une telle production, sans nécessairement le trahir. Je me suis entouré d’une jeune équipe – je voulais que ça donne un objet contemporain, pas folklorique dans sa forme -, équipe que j’ai mise au défi de "mettre en écran un faiseur d’images"! Évidemment, il a fallu être un peu infidèle au conte, être conscient que nous travaillions avec un médium particulier, mais nous avons fait en sorte que la parole demeure centrale." Le résultat en témoigne. Sobre, loin de l’orgie technique qui aurait étouffé la voix libre du conteur; un avant-goût de ce qu’est le conte dans son habitat naturel, ni plus ni moins.
Ainsi se clôt ce très bref aperçu de l’entrevue-fleuve accordée à Voir par Jean-Massie. Ne reste plus qu’à souligner l’essentiel: indépendamment des qualités littéraires de Montréal démasquée, qui sont nombreuses, un conteur, ce n’est ni dans un livre ni dans une entrevue qu’on le rencontre vraiment: c’est sur les planches, et le principal intéressé ne se fait pas prier quand on évoque ce spectacle qu’il présentera dans quelques semaines au Monument-National: "C’est un show que je travaille depuis le début de l’année en fait, qui a tourné cet été en France, et qui sera la synthèse des essais et erreurs des derniers mois; une fusion d’éléments corporels, visuels et techniques au coeur desquels règne toujours la parole." Un genre de sport extrême, quoi.
Du 31 janvier au 16 février 2008
Au Monument-National
MONTREAL DEMASQUEE, UN LIVRE-DVD
Ce livre, c’est l’aboutissement d’une réflexion menée par Jean-Marc Massie, ces dernières années, dans le but de faire un tout cohérent à partir du corpus échevelé de ses fréquentes prestations scéniques. Y avait-il des points communs à ses histoires? Des points d’ancrages? "De fil en aiguille, je me suis rendu compte que Montréal me traversait, dira le conteur. J’avais trouvé mon fil."
Montréal démasquée est constitué de quatre contes dont un, Rrrraoul, court sur plus de 20 pages, et dont on retrouve les versions enregistrées devant public sur le DVD glissé dans la jaquette. L’infatigable animateur de la scène québécoise du conte, qui publiait en 2001 son Petit manifeste à l’usage du conteur contemporain, nous fait redécouvrir la ville sous des angles inusités, revisitant tambour battant notre histoire collective, s’intéressant tout particulièrement aux relations amoureuses de ses contemporains et à tout ce qui cloche depuis qu’Adam et Ève se sont fait virer du Paradis terrestre. Éd. Planète rebelle, 2007, 79 p.