Horacio Castellanos Moya : Le Bal des vipères
Jeune sociologue au chômage, Eduardo décide un jour de suivre Jacinto, clochard alcoolique et malodorant qui habite sur sa rue dans une vieille Chevrolet jaune. Assassinant ce dernier qui a fini par lui raconter son passé de chef comptable dans une grande entreprise, Eduardo s’accapare de son identité et de sa voiture dont il découvrira le mystère dès sa première nuit à bord. Les quatre serpents qui l’habitent sont en effet quatre belles créatures avec qui il fait l’amour et qui l’inciteront à semer le désordre dans toute la ville, accumulant les morts. Avec ses quatre premiers romans traduits en français aux Allusifs, Horacio Castellanos Moya nous a habitués à ces intrigues apocalyptiques, évoquant la corruption des sociétés latino-américaines à travers des narrations inventives, parcourues d’une constante ironie. L’écrivain salvadorien en exil récidive avec ce renversant Bal des vipères, récit jubilatoire qui, avec son incursion dans le fantastique, reste le plus surréaliste (et malgré cela le plus désespérant) de toute son oeuvre. Trad. par Robert Amutio. Éd. Les Allusifs, 2007, 160 p.
Malgré les airs surréalistes, ce roman est tout sauf surréel. Ce n’est pas non plus un roman policier comme il y en a tant avec une intrigue corsée mais banale. En effet, Castellanos Moya récidive avec ce roman en plongeant dans l’univers opaque et nauséeux des républiques où tous les combinards se tiennent au coude à coude pour se partager les magouilles et leurs profits. Cette république n’a pas de nom, mais ce n’est pas une raison pour croire que cette peste n’existe nulle part sur terre et qu’il suffit de se fermer les yeux ou de se boucher le nez pour déclarer que ce n’est qu’une vision de l’esprit. L’auteur qui a du fuir ailleurs pour des raisons de sécurité n’en serait pas arrivé à cette conclusion s’il n’avait été qu’un autre Lucky Luck du polar.
Alors commence pour le lecteur, comme pour tous les romans de Castellanos Moya d’ailleurs, un travail de décryptage sur la matière du récit. Une première découverte est celle qui lui fait voir la paupérisation de larges parts de la classe moyenne de la république qu’il décrit, car l’un des personnages principaux, celui qui est au centre du récit avec sa voiture américaine à la couleur criarde, est un comptable devenu clochard, lequel est remplacé dans cette position par un sociologue qui l’a assassiné pour vivre la situation faite à ce dernier. Puis vient aussi, profilé derrière ce premier constat celui de la fragilité des cadres institutionnels derrière se retranchent ceux qui continuent à pouvoir profiter d’une situation avantageuse. Synthétisé et les ramassant toutes, il y a le constat que la moindre enquête d’un journaliste à propos d’un fait divers destiné à défrayer les potins des affaires criminelles, peut facilement déboucher sur des constations imprévues et lourdes de conséquences tant pour les pouvoirs en place que pour le journaliste soudainement transformé en journaliste d’enquête, un métier qu’il constate être très dangereux.