Marjolaine Deschênes : Dialogue avec l'absent
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Marjolaine Deschênes : Dialogue avec l’absent

Marjolaine Deschênes, trois ans après avoir remporté le prix littéraire Clément-Morin, signe un troisième livre de poésie: L’étreinte ne sera plus fugace.

Immergé dans un univers craquelé où la nature sert parfois de baume, L’étreinte ne sera plus fugace trouve son point de départ dans l’amour des mots, ou plutôt dans le lien merveilleux que ceux-ci arrivent à créer entre les hommes. "Ça renvoie au fait qu’on vit dans un monde où tout va super vite, où les relations humaines sont minces. Pour moi, lire ou écrire de la poésie, c’est justement prendre le temps de remédier à ça", amorce la poète Marjolaine Deschênes, le nez devant un goûter matinal.

"Premièrement, l’étreinte, ce n’est pas une étreinte amoureuse ni romantique. Quand j’ai écrit le livre, c’est comme si j’entrais dans un dialogue avec les auteurs que j’aime. Tu sais, quand un auteur me fait vraiment triper, ça transforme mon rapport au monde, au temps, aux autres… J’ai donc entamé un dialogue avec ceux qui m’ont beaucoup marquée. Philippe Jaccottet, c’en est un; il y en a d’autres", poursuit-elle. Si elle esquive d’abord la vérité, la Mauricienne d’adoption lâche finalement le morceau au bout de quelques minutes. "Je suis toujours gênée de le dire, mais je vais le faire pareil: le poète qui m’a fait le plus triper, c’est Christian Bobin. Il a écrit des romans, des biographies… Il a une écriture très poétique. Là, je le lis moins. Mais souvent, je suis mal à l’aise de dire comment j’ai tripé sur lui, car à un moment donné il est devenu trop populaire. Pour moi, avec ce livre-là, c’est comme d’écrire à Bobin. C’est ça qui a été l’élément déclencheur."

À l’embryon du projet, l’écrivaine avait pensé publier plusieurs lettres destinées à l’écrivain français. Elle avait rapidement noyé l’idée, selon elle, un peu trop pointue et personnelle; ça ne risquait pas d’intéresser un large public. Voilà pourquoi elle a inventé un personnage appelé Nomade – figure qui rassemble tous les auteurs qui l’ont touchée -, un poète un peu fou qui, avec l’aide de la parole, cherche à rétablir le contact entre les êtres humains engourdis par la violence et le désordre. "Ton travail est celui de croire que les hommes sans figure lâcheront les armes. Qu’ils cessent, le soir, d’abattre leurs femmes comme on abat les chevreuils, à coups de fusil sur les rotules. […] Ton travail Nomade est celui de croire en la démission de ceux qui étranglent mes frères."

Stylistiquement parlant, L’étreinte ne sera plus fugace donne l’effet d’un crescendo. De la poésie en vers, on glisse doucement vers la prose. "C’est comme si, au départ, il y avait une recherche de la parole juste. On marche à tâtons. C’est vrai qu’au début, ce sont plus des poèmes en vers et que, quand tu arrives à la troisième section, où Nomade entre plus en scène, ça devient plus un dialogue, explique Marjolaine Deschênes. Cette évolution du vers à la prose, ça montre aussi mon désir d’écrire un roman rapidement. Ça fait plusieurs années que je veux le faire, et là, c’est mon prochain défi!"

L’étreinte ne sera plus fugace
de Marjolaine Deschênes
Éd. David, 2007, 85 p.

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L'étreinte ne sera plus fugace
L’étreinte ne sera plus fugace
Marjolaine Deschênes
David