Denise Desautels : Croisée des regards
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Denise Desautels : Croisée des regards

Denise Desautels signe L’OEil au ralenti, une expérience poétique hors du commun, un assemblage qui respire en plusieurs lieux et se prononce en plusieurs voix.

Montage, triage, collage. Attention. L’OEil au ralenti n’est rien de moins qu’une installation littéraire, un outil incréé pour pénétrer l’oeuvre d’une auteure marquante, frappante. Et de là sa réussite. En regroupant des poèmes et des proses publiés entre 1989 et 2005 (textes en dialogue avec des oeuvres plastiques, et parus au sein de livres d’artistes et de catalogues d’exposition, essentiellement; tirages limités, artisans, éditions de luxe, intimes, voire confidentielles), Denise Desautels donne généreusement à lire un ensemble de voix.

"L’installation est passée d’une pratique spécifique du médium à une pratique spécifique du discours", a dit Hal Foster, théoricien de l’art; alors pourquoi pas ici l’agencement, la combinaison des regards propres à la littérature à l’extérieur même de la littérature, dans une forme tentaculaire, de manière à modifier toute approche, toute expérience du travail littéraire? La proposition est juste, le résultat est bon.

DESTITUER L’ORIGINE

Nous ne sommes pas en présence d’un "livre" de poèmes, mais bien d’un recueil d’expériences poétiques, théoriques, esthétiques avec ce qu’il se doit bien d’accroches, d’entorses, de paradoxes et d’exactes collisions. Commandes, pour des galeries, des musées: proches des univers de Betty Goodwin, de Michael Snow, de Michel Lagacé, d’Ozias Leduc, de Christine Palmiéri, sans ménagement, en rapprochements ou en intervalles, au passage du moderne, les différents "segments" de L’OEil au ralenti imposent leur propre dynamique, leurs propres sons, perspectives ou éclairages.

Tout fonctionne, et ce, à l’extérieur des espaces en lesquels les textes se devaient originalement de respirer. Transposables donc du lieu d’accompagnement de l’oeuvre visuelle, puisque s’il sait aller y voir, le lecteur peut, de par la consultation des éditions matrices, chercher à connaître la force d’intervention; or, l’action du lecteur ne s’en trouvera qu’amendée dans une interprétation qui appelle à la comparaison, à la juste transgression, à l’espace éclopé du regard. Autrement, ce dernier se trouve face à une oeuvre littéraire distincte, qui existe en elle-même, en d’autres conclusions.

Au fond

L’OEil au ralenti est un espace qui appelle, lui, à la découverte. Sans que les oeuvres visuelles n’aient à être reproduites au sein de l’ouvrage (de facture magnifique; Noroît), le livre accroche. Le livre explose en multiples infractions, car c’est "Au lecteur, à la lectrice de convoquer les images: les faire revenir à la surface de la mémoire visuelle, les chercher dans leur milieu naturel". En crescendo, c’est à la fin de l’ouvrage qu’à mon sens l’on trouve les textes les plus forts. Si elle paraît timide de par son économie de mots, la suite intitulée "Dépaysement de sens", articulée autour de photographies choisies par Jacques Fournier parmi les archives du Musée de Charlevoix, est à couper le souffle, littéralement: "Tapissière. Comme on dit: dentellière, cinéaste, artiste, hors-la-loi. Comme on dit: détournement d’inhumanité. L’imagination avance, fonce, éclate crue. Ne s’en sortira pas indemne."

NE S’EN SORTIRA PAS INDEMNE

Intervention, interaction, art intérieur, L’OEil au ralenti occupe son espace propre, qui n’est en fait que celui du lecteur. Poésie des frontières de l’il-y-a, invariablement. Construction, déconstruction, reconstruction de ce qui se doit d’être la poésie, allez-y voir. Ce livre vous appartient. Là. C’est d’abord et avant tout le matériau de vos propres images qui traînent dans l’absolu.

L’OEil au ralenti
de Denise Desautels
Éd. du Noroît, 2007, 224 p.

L'oeil au ralenti
L’oeil au ralenti
Denise Desautels
Noroît