Pedro Juan Gutiérrez : Adolescence prolongée
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Pedro Juan Gutiérrez : Adolescence prolongée

Le sulfureux Pedro Juan Gutiérrez remonte aux sources de sa vocation d’écrivain dans un quatrième roman traduit en français: Le Nid du serpent.

On entre dans chaque roman de Pedro Juan Gutiérrez avec la même image que nous avait laissée le dernier: celle de l’écrivain lui-même en train de forniquer. Remontant le cours du temps jusqu’à l’année de ses seize alors qu’il était encore vierge, Le Nid du serpent s’ouvre plutôt au jardin zoologique où un macaque se fait dévorer par un lion dont il a imprudemment traversé la cage. Symbole facile que le jeune Pedro Juan associera aux rapports humains: "Celui qui ne se sert pas de ses crocs et de ses griffes, sans pitié, finit en chair à canon, ou à nettoyer les chiottes." Toujours assis sur le banc du zoo d’où il a assisté au spectacle, il répondra peu après aux avances d’une vieille prostituée, aventure inaugurale qui lui méritera auprès de ses amis l’humiliant surnom de "Suce-Mémé".

Ce ne sont pourtant pas les femmes qui vont lui manquer par la suite: belles ou laides, noires, blanches ou métissées, elles traverseront sa vie à un rythme aussi impressionnant que les livres qu’il dévore dans le refuge que lui offre la bibliothèque municipale. Hemingway, Capote, Proust, Balzac, Duras, Hesse lui enseigneront en effet tour à tour à faire "jaillir la rage et la folie". Avec l’apprentissage sexuel, qui le maintient en contact avec sa nature "primitive", on suivra donc en parallèle l’éducation littéraire du jeune homme, lui évitant de joindre les rangs d’une société contrôlée par un régime despotique: un Cuba où l’écrivain vit par ailleurs paisiblement aujourd’hui, bien que ses ouvrages n’y sont toujours pas publiés.

Tandis que ses autres romans ont pour cadre les ruelles chaudes et sordides du Centro Habana contemporain, Le Nid du serpent nous transporte dans le Matanzas natal, "ville prétentieuse des aristocrates et du sucre" où les parents de Pedro Juan Gutiérrez perdirent leur commerce après la révolution. C’est la décennie 1960, celle de la jeunesse de l’écrivain et de son service militaire passé à couper de la canne à sucre. Ainsi consacré aux années de formation, Le Nid du serpent aurait pu être le roman le plus riche de Gutiérrez. Le résultat s’avère pourtant décevant, surtout après Le Roi de La Havane où l’auteur s’effaçait davantage pour laisser place aux plus démunis de la société cubaine. Accumulant les scènes prophétiques et fondatrices où lui serait apparue la nécessité de se révolter par l’écriture, le "Bukowski des Caraïbes" manque de subtilité dans la construction de sa propre légende. Sous sa plume, la posture de la dissidence et de la transgression finit malheureusement par lasser.

Le Nid du serpent
de Pedro Juan Gutiérrez
Trad. par Bernard Cohen
Éd. Albin Michel, coll. "Les Grandes Traductions"
2007, 286 p.

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Le Nid du serpent
Le Nid du serpent
Pedro Juan Gutiérrez
Albin-Michel