Jean-Louis Tripp : Faire des bulles

Voir: Quelles sont vos obsessions du moment?

Jean-Louis Tripp: "Le réchauffement climatique. Depuis quelques années, depuis que l’on sait la vérité sur ce qui nous attend, ma vision du monde a changé. J’essaie d’être le plus attentif possible à mon empreinte environnementale. Comme je prends souvent l’avion entre la France et le Québec, je compense en n’ayant pas de voiture. Je suis abonné à Communauto et je prends les transports en commun qui, hélas, à Montréal, sont carrément arriérés par rapport à l’Europe. Je ne comprends ni les tergiversations gouvernementales qui visent à gagner du temps, ni les comportements individuels irresponsables. Il est de bon ton de s’en prendre publiquement aux fumeurs mais il est mal vu de faire la moindre remarque à un conducteur qui laisse tourner son moteur à l’arrêt alors que c’est une infraction sur l’île de Montréal. ÇA M’ÉNARVE!"

Qu’est-ce qui vous distingue des autres?

"Je suis équipé d’un système on/off. Je suis allumé ou éteint. Il n’y a pas de variateur sur mon commutateur. C’est assez fatigant pour mes proches, c’est épuisant pour moi, mais c’est un outil redoutable lorsque je me suis fixé un objectif à atteindre (par exemple, livrer un tome de

Magasin général tous les ans en collaborant avec un maître ès procrastination comme Régis Loisel)."

Jugez-vous votre sort enviable?

"Oui, même si j’ai une grande capacité à voir la bouteille à moitié vide, je suis bien obligé de constater, si je considère l’humanité dans son ensemble, que je ne suis pas à plaindre. Il y a une phrase de Gramsci que j’aime beaucoup: "Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.""

Pourquoi vivez-vous là où vous vivez?

"Parce que Montréal, malgré tous ses défauts, est pour moi une ville légère à vivre, arborée, aérée, diverse, cosmopolite, laide mais belle, énervée mais calme, sale au printemps mais repeinte en blanc toutes les semaines l’hiver. Et puis parce qu’il y a ma blonde et l’atelier dans lequel je travaille avec Régis Loisel."

Nommez trois artistes que vous n’aimez pas.

"Des acteurs américains: Ronald Reagan, Arnold Schwarzenegger et George W. Bush."

Nommez trois artistes que vous aimez.

"Pour la bande dessinée, un Espagnol: Miguelanxo Prado. Pour l’écriture, un Américain: Russell Banks. Et pour la chanson, bien sûr, que des Québécois: Robert Charlebois, Beau Dommage, Pierre Lapointe, Richard Desjardins, Les Colocs (toute la gang pour le prix d’un)."

Qu’êtes-vous incapable de vous refuser?

"Du chocolat noir, du vrai. Au-dessus de 80 % de cacao."

Que dirait votre épitaphe?

"Il a beaucoup abusé du chocolat, mais il avait un foie solide."

Qu’est-ce qui vous fait encore peur?

"Vieillir, mais c’est pas que ça me fait encore peur, c’est que MAINTENANT, ça me fait peur!"

Qu’est-ce qui vous met en colère?

"La connerie: souvent celle des autres et quelquefois la mienne."

Où étiez-vous il y a dix ans?

"À Auvers-sur-Oise, à 25 kilomètres de Paris. Le village où Vincent Van Gogh a peint ses 90 dernières toiles, où il est mort et où il est enterré. J’y ai vécu 10 ans et en 1997, je peignais et je faisais des meubles en métal."

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire?

"Une VRAIE surprise."

Même pour un million, je ne…?

"Un million de quoi? de dollars? d’euros? de bisous?"

Qu’aimeriez-vous oser faire?

"Un album de bande dessinée extrêmement personnel, intime,

graphiquement lâché et imparfait: ce serait thérapeutique."

Que pensez-vous des journalistes?

"Les journalistes, c’est comme les champignons, il y en a de formidablement goûteux et d’autres dans lesquels je ne croquerais pas pour un million de dollars, d’euros, de bisous…"

Magasin général, tome 3 – Les Hommes
de Loisel et Tripp
Éd. Casterman, 2007, 79 p.