D. Y. Béchard : La dérive du continent
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D. Y. Béchard : La dérive du continent

Vandal Love ou Perdus en Amérique nous arrive précédé d’une forte rumeur, née en bonne partie de l’attribution à son auteur, D. Y. Béchard, du convoité Commonwealth Writers’ Prize 2007 du premier roman. Le jeune écrivain nous parle de la genèse de ce coup d’envoi spectaculaire.

"Il lui aura fallu près de huit ans d’écriture et de pérégrinations pour donner vie à cet étonnant premier roman", peut-on lire sur la quatrième de couverture de Vandal Love ou Perdus en Amérique. En discutant avec le principal intéressé, on se dit qu’il aura même fallu 33 ans, les 33 ans qu’a au compteur D. Y. Béchard, né d’un père gaspésien et d’une mère états-unienne, pour accoucher d’un texte aussi mûr, qui n’aurait pas été possible sans un parcours de vie aussi riche que le sien, et qui pourtant appartient d’abord à la fiction, à la Littérature avec un grand L.

Celui qui a vécu, "entre autres", précise-t-il, en Colombie-Britannique, au Vermont, au Nouveau-Mexique, en Louisiane, mais aussi à Montréal, Québec, Rimouski, Toronto, New York et Londres, est conscient de la place qu’occupe dans son imaginaire le déplacement, le déracinement. "Durant une longue période, je déménageais tous les six mois", se souvient-il. "Mon père touchait à tout, passait d’un boulot à l’autre. C’est quelqu’un qui a eu des problèmes, qui a fait de la prison, et ça s’est traduit par de nombreux déménagements. J’ai donc eu une jeunesse durant laquelle il était normal de se déplacer tout le temps, de s’habituer à de nouveaux lieux."

LA VIE N’EST PAS UN FLEUVE TRANQUILLE

Interrogé sur les sources initiales de Vandal Love, D. Y. Béchard n’hésite pas à remonter jusqu’à cette prime jeunesse. "Je me souviens de lointaines discussions avec mon père. Il me parlait du Québec, me disait à quel point c’était dur, là-bas, pauvre, et qu’il ne voulait pas y retourner."

Voilà à coup sûr l’un des éléments déclencheurs ayant mené à ce très accompli roman. Béchard, qui enseigne actuellement dans une université de Boston et aurait pu enraciner son histoire n’importe où en Amérique ou dans le monde, a placé le Québec au coeur de Vandal Love, plus précisément la Gaspésie, terre originelle, berceau fêlé d’une famille dysfonctionnelle, disloquée, celle du patriarche Hervé Hervé, qui engendre tantôt des géants, tantôt des nains, et qui demeurera le point d’ancrage pour les descendants de celui-ci, même ceux qui roulent leur bosse aux confins des États-Unis ou de l’Ouest canadien.

Mais attention, le Québec tel que perçu par ces personnages est un Québec essentiellement fabulé, fait de récits oraux, de souvenirs de jeunesse, et passé à la moulinette d’un jeune écrivain audacieux, qui a su insuffler une puissante symbolique à un récit déjà substantiel au premier degré. "Avant même de connaître le Québec, je m’en étais fait toute une petite mythologie, à moitié inventée, avec son climat, ses campagnes, ses habitants qui partaient vers le Sud pour se trouver un futur…"

Voilà bien l’une des choses qui séduisent, dans ce livre: on sent l’odeur de la terre, la course des saisons; on voit la nature frémir sous la plume d’un romancier très attentif au réel, mais Béchard a par ailleurs l’intuition et le talent de brosser des êtres plus grands que nature, dans une matière qui serait à la frontière de la réalité et d’autre chose. "J’ai voulu, oui, qu’il y ait une part de magie dans ce récit, que ça touche parfois au conte de fées."

IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE

Qu’ils appartiennent à la branche des colosses ou des nabots, les héritiers d’Hervé Hervé ont des faiblesses communes, finissent par chercher derrière la ligne d’horizon de quoi combler le vide de leur existence. "L’histoire s’inspire beaucoup de récits que des gens m’ont faits, dans le Maine ou ailleurs, racontant l’implantation de leur famille dans le Nord-Est américain ou en Louisiane, par exemple, et ensuite l’envie de pèlerinage qui s’emparait souvent des descendants, qui souhaitaient retrouver la terre de leurs ancêtres."

Pour les personnages centraux de Vandal Love, qui portent tour à tour le récit – le relais d’un personnage principal à l’autre s’opérant avec une fluidité déconcertante, faut-il souligner, dans la grande tradition de la fresque romanesque américaine -, ces descendants, donc, vont vivre l’appel du berceau familial de façon désordonnée, à travers les brumes de leur conscience meurtrie, leurs vies n’étant que successions de désillusions et d’amours manquées, comme en écho à la brutalité qui régnait dans la maison d’Hervé Hervé. Pour Jude, petit-fils de ce dernier appartenant à la lignée familiale des géants, ou plus tard pour la fille de Jude, Isa, la fascination trouble pour les origines donnera lieu à une quête bouleversante, belle et triste à pleurer.

Mise en garde: le lecteur non plus ne sort pas tout à fait indemne de ce fascinant dédale existentiel et géographique.

Vandal Love ou Perdus en Amérique

de D. Y. Béchard

Éd. Québec Amérique, 2008, 344 p.

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VANDAL LOVE OU PERDUS EN AMERIQUE

En novembre dernier, Normand de Bellefeuille nous avait prévenu. L’écrivain et directeur littéraire aux Éditions Québec Amérique nous confiait en effet considérer ce "coup", pour reprendre le terme employé en référence à l’achat par la maison des droits de Vandal Love, comme "sa plus grande fierté de directeur littéraire depuis dix ans".

Nous avions donc la puce à l’oreille, et peu après la réception du roman, traduit avec une grande justesse de ton par Sylvie Nicolas, il fallait en convenir: nous étions devant un titre d’exception. D. Y. Béchard, grand lecteur et héritier de Faulkner et Joyce, signe un immense tableau multigénérationnel, qui a pour coeur une petite communauté gaspésienne, mais dont les trajectoires des personnages nous mènent partout à travers l’Amérique du Nord; une histoire qui traite tour à tour de jeunesses volées, d’amours forcées et de fuite, de violence père-fils et d’incompréhension père-fille, de délire religieux et de mille choses encore, le tout dans une écriture stratifiée, complexe mais élégante.

Vandal Love ou Perdus en Amérique est un récit exigeant, mais qui récompense l’exigence à grands souffles de poésie et de sombre beauté, et dont la mécanique impeccable fait en sorte que, malgré quelques longueurs et la tendance d’un jeune auteur surdoué à pécher par excès, en outre dans les images incorporées à ses descriptions, nous vivons là, véritablement, une très grande expérience de lecture.

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