Emmanuel Kattan : Liaison dangereuse
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Emmanuel Kattan : Liaison dangereuse

Emmanuel Kattan lance un premier titre impressionnant de maturité, fruit d’un savant mélange des genres.

"Ma jalousie est comme une Rome sinistre, misérable, à laquelle mènent, inexorablement, tous les chemins de ma conscience." Tiré du journal de Judith, l’un des personnages principaux de Nous seuls, cet extrait en dit long et sur l’histoire et sur le style d’Emmanuel Kattan, qui vient de nous livrer un premier roman de très grande qualité. Sur l’histoire parce que la jalousie est sans conteste le moteur principal de cette intrigue psychologique basculant dans le thriller; sur le style parce que Kattan possède, indéniablement, le sens de la formule, de la phrase plus riche que la somme de ses parties.

À travers un découpage narratif très habile, qui distille avec finesse les révélations et les surprises, l’auteur conçoit la rencontre de quelques êtres follement attirés par l’idée de bonheur, mais qui n’arrivent pas tous à le reconnaître quand il se trouve à leur portée. Il y a d’abord Antoine et Séverine, deux Français qui se sont rencontrés à l’adolescence, lors d’un camp d’anglais à Cork, en Irlande, et dont le début d’amour va se muer en profonde amitié. Il y a aussi Judith, le grand amour d’Antoine, mais que celui-ci va blesser profondément et qui va fuir à New York.

Reposant tantôt sur le journal de cette dernière, tantôt sur un narrateur omniscient, la trame montre peu à peu tout ce qui peut naître d’une passion esquissée puis prolongée des années plus tard, neuf ans pour être précis, et que ne cesseront plus de hanter les fantômes du passé, les amants qui se sont glissés dans la vie de l’un et l’autre avant leurs retrouvailles. Des fantômes qui prendront une importance démesurée, feront naître des gestes irrémédiables. C’est ici que s’opère une rupture dans le roman, qui prend soudain des allures de suspense.

Nous seuls est un roman à revirements qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne conduit pas là où l’on croyait. N’en disons pas trop sur le fil de cette histoire obsédante, donc, sinon pour souligner l’étonnante palette du romancier, qui parvient à faire cohabiter des réflexions d’une infinie justesse sur la vie conjugale, ses mécanismes et ses codes, et un tournemain narratif relevant d’abord du polar.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des thrillers dans lesquels on nous sert à répétition des phrases pareilles, de celles qui agissent comme un scalpel dans notre compréhension de l’amour et ses dérives: "J’existais parce qu’il m’aimait et je l’aimais parce qu’il me faisait exister. Exilée de mon corps, de mes pensées, de mes habitudes, c’est moi-même que je retrouvais, plongée en lui, parce que son désir avait dessiné ma présence dans tous les recoins de sa vie."

Une entrée en matière des plus convaincantes.

Nous seuls
d’Emmanuel Kattan
Éd. du Boréal, 2008, 232 p.

À lire si vous aimez / La Notaire, de Patrick Nicol