Véronique Marcotte : Zones d’ombre
Véronique Marcotte, jeune auteure trifluvienne dont l’étoile brille de plus en plus fort dans le ciel des lettres québécoises, publie Tout m’accuse, un chassé-croisé de personnages à la dérive.
Avec Dortoir des esseulés (1999) et surtout Les revolvers sont des choses qui arrivent (2005), elle avait fait entendre une voix tonique et courageuse dans le concert souvent prévisible de la jeune littérature d’ici. En publiant Tout m’accuse, l’auteure et metteure en scène Véronique Marcotte, dont on savait déjà qu’elle n’hésitait pas à explorer les pans sombres de l’esprit humain, accouche d’un roman polyphonique dont le plaisir de lecture qu’il suscite ne masque jamais les blessures profondes de ses protagonistes.
Tout a commencé il y a quelques années, alors que Véronique Marcotte triturait les ébauches d’un roman encore bien hypothétique, autour de la figure d’un certain Auguste, un personnage au comportement trouble. Survient alors une opportunité, de celles qui ne se refusent pas: en 2005, on lui propose d’occuper pendant quelques mois la résidence d’écrivains Passa Porta de Bruxelles, en Belgique. "Le personnage d’Auguste existait déjà, et je n’allais pas en Belgique pour écrire sur la Belgique. Mais il se trouve que la ville m’a beaucoup inspirée, m’a habitée, même. Alors j’ai eu envie de voir si Auguste pouvait être Belge…"
Le plan de travail allait en être profondément modifié, puis aboutir à une structure assez ambitieuse, qui conjugue les thèmes de la culpabilité et du vide affectif à la notion d’exil. Une structure qui implique pour l’auteure de composer autour de plusieurs voix, le narrateur changeant continuellement au fil des chapitres. "Il a fallu que je trouve des trucs pour que chacun de ces je résonne à sa façon", se souvient l’auteure, consciente dès le départ des exigences d’une telle entreprise, qui impliquait par exemple une étude des belgicismes. "En fait, je me suis rendu compte que j’avais quatre personnages principaux, même s’ils ne sont pas tous présents tout au long du roman. Le je de chacun s’imposait, parce que je ne voulais pas que l’un ou l’autre ne soit qu’un faire-valoir, je voulais que chacun devienne une figure centrale."
TIC TAC TOC
À travers Tout m’accuse, Véronique Marcotte voulait plus que jamais montrer les zones d’ombre de la personnalité humaine, celles que l’on met beaucoup d’application à farder. Fascinée par le TOC, le trouble obsessif compulsif, elle a composé son Auguste autour d’une pulsion incontrôlable, celle de s’immiscer du regard dans l’intimité d’autrui, de voir sans être vu. "Quand Les revolvers est paru, plusieurs psychothérapeutes m’ont dit que la psychose, j’avais bien compris ce que c’était, que ça sonnait juste. Moi, évidemment, j’avais eu l’impression de jouer avec le feu, malgré toutes les recherches que j’avais faites sur le sujet. Cette fois, j’étais encore plus consciente de jongler avec un sujet que je ne connais pas complètement, alors j’ai fouillé beaucoup, j’ai creusé cette question. Il faut dire que l’étape des recherches est sans doute celle que je préfère dans le processus d’écriture." Voyeurisme, insomnie chronique, anorexie… La romancière s’en est donné à coeur joie, parce que la petite galerie de personnages de Tout m’accuse comporte quelques beaux sujets d’étude…
Les motifs récurrents, chez les écrivains, ne sont jamais étrangers à ce qui les hante eux-mêmes, et Marcotte ne cache pas s’inspirer beaucoup de ce qu’elle porte en elle: "J’ai une peur énorme de tomber, peur de la maladie mentale, peur de tout ce que je ne comprends pas finalement. Le bon côté, c’est que ça représente tellement de beaux personnages à inventer…"
En effet.
Tout m’accuse
de Véronique Marcotte
Éd. Québec Amérique, 2008, 240 p.
En librairie le 20 février
TOUT M’ACCUSE
Quand Auguste quitte sa Belgique natale pour aller travailler dans un hôpital montréalais, il compte prendre pour de bon ses distances d’une mère qui l’aime mal, de cet amour étouffant qu’ont parfois les mères à qui la vie a pris beaucoup. Auguste n’arrive pas à laisser derrière ses propres déviances, toutefois, celle entre autres de violer des yeux l’intimité des gens. Parmi ceux qu’il observe à leur insu, il y aura Victoire, une jeune peintre qui gagne sa vie dans un resto. À ces trois personnages, qui deviendront tour à tour narrateurs d’une histoire plurielle et bouleversante, va s’ajouter Mathias, le père d’Auguste, qu’il croit mort depuis longtemps. Dans ces trajectoires blessées, qui se croisent en un ballet beau et douloureux, c’est toute la détresse humaine qui est mise au jour, toute la culpabilité qui reste au lendemain des gestes qu’on aurait voulu retenir.