Jean-François Beauchemin : Éloge des petits riens
Livres

Jean-François Beauchemin : Éloge des petits riens

Alors que paraît en librairie Ceci est mon corps, son nouveau roman, c’est un bout de son âme que nous livre à travers l’interrogatoire le récipiendaire du Prix des libraires 2007, Jean-François Beauchemin.

Voir: Quelles sont vos obsessions du moment?

Jean-François Beauchemin: "Je n’ai jamais d’obsessions temporaires. Toutes celles que j’ai sont permanentes. Ce sont en général les quatre ou cinq qu’on retrouve dans tous mes livres: l’amitié, la douleur, la joie, la mort, la famille, l’inexistence de Dieu. Certaines parmi celles-ci peuvent paraître déprimantes. Elles ne le sont pas pour moi. Je suis rarement triste, plutôt optimiste, jamais déprimé. En fait, je suis l’homme au caractère le plus égal que je connaisse, l’un des plus joyeux aussi. Je suis une sorte de rigolo, toujours à l’affût d’une bonne blague, d’un bon moment passé à s’amuser entre amis. Mais il est vrai que la profondeur de l’âme humaine, que les sentiments même les plus terribles ou les plus obscurs ne m’effraient pas. Je m’efforce au contraire, et de plus en plus, en vieillissant, d’en explorer les multiples aspects dans mes livres."

Qu’est-ce qui vous distingue des autres?

"J’aime la gentillesse. Je n’ai jamais bien compris cette sorte de fierté que semblent éprouver tant de gens à être baveux, féroces, agressifs, faussement virils. Et puis je ne suis pas cynique, pas du tout désespéré quant à l’avenir de l’humanité. J’aurais aimé vivre dans 500 ou 1000 ans, voir un peu à quoi ressemblera le monde du futur, que j’imagine extraordinairement intéressant. Une chose m’attriste: quand ces gens de l’avenir penseront à nous et à notre époque, ils nous jugeront sévèrement. Ils diront sûrement: "Mais à quoi pensaient-ils? Ils couraient à leur perte et ne faisaient rien.""

Jugez-vous votre sort enviable?

"J’ai eu ma part de malheurs, mais je suis complètement privilégié. Peu d’hommes ont eu ma chance: j’ai tout reçu et, comme toujours, la plupart de mes voeux se réalisent. Je ne me sens pourtant pas particulièrement différent des autres. Mais j’ai marché toute ma vie au rythme "d’un autre tambour", comme disait Thoreau. Je ne l’ai pas voulu, c’est ainsi. Je m’étonne encore de ces pas que j’ai faits si aisément au milieu d’une foule impatiente, marchande, à la fois trop frivole et trop raisonnable, et de laquelle je me suis senti non pas exclu mais assez distinct pour en être toujours l’involontaire spectateur."

Pourquoi vivez-vous là où vous vivez?

"J’aime la beauté. La campagne où je vis est belle. L’oeil ne se lasse pas de ces courbes, de ces chemins creux, de ces arbres comme soutenant le ciel. L’esprit se recueille un peu plus lorsqu’il devine ces bêtes étonnées qui nous épient, dissimulées dans la forêt. Bien sûr, la ville aussi est belle. J’ai vécu récemment six mois à New York. Ce furent parmi les plus beaux moments de ma vie. Mais j’ai besoin de la beauté stupéfiante de la nature."

Nommez trois artistes que vous n’aimez pas.

"Non."

Nommez trois artistes que vous aimez.

"Paul Auster: quand je trouve le métier d’écrivain ordinaire, je relis Léviathan. Serge Fiori: sa musique a changé ma vie. Vincent van Gogh: je trouve que ses oeuvres sont parmi les plus belles choses en ce monde."

Qu’êtes-vous incapable de vous refuser?

"La paix de l’esprit."

Que dirait votre épitaphe?

"Il aimait plus que les autres la beauté. Mais il est né mille ans trop tôt."

Qu’est-ce qui vous fait encore peur?

"La douleur physique. Je suis un peu traumatisé. La vie m’a donné rendez-vous à intervalles réguliers avec la douleur. Je ne m’y suis jamais habitué. À part ça, je n’ai pas peur de grand-chose. Même mourir ne me semble pas si terrible. Mais ma plus grande crainte, comme disait Jean-Pierre Ferland, c’est de perdre mon bonheur."

Qu’est-ce qui vous met en colère?

"La bêtise, l’imbécillité. J’aime les gens. Mais je déteste les imbéciles. Ils me mettent hors de moi (et il y en a pas mal)."

Où étiez-vous il y a dix ans?

"J’avais 38 ans. Je vivais dans une jolie maison à Rosemère. Je publiais mon premier roman (après en avoir écrit des dizaines d’autres assez mauvais). J’étais encore réalisateur à Radio-Canada. Mes parents vivaient encore. Je rêvais d’aller vivre quelques mois dans une grande ville. J’étais extraordinairement ignorant. Un grand malheur m’attendait. J’étais un autre homme."

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire?

"Je n’ai besoin de rien."

Même pour un million de dollars je ne….?

"… me séparerais pas d’avec ma belle Manon."

Qu’aimeriez-vous oser faire?

"Tout laisser tomber et partir faire le tour du monde."

Que pensez-vous des journalistes?

"Ceux de la presse écrite font en général assez bien leur boulot. Ceux de la télé sont trop souvent racoleurs, ou abusent parfois de leur pouvoir en créant l’événement. En été, j’aimerais qu’on me sacre un peu la paix lorsqu’il n’y a rien à annoncer. Cette idée, aussi, à TVA, de se rapprocher des gens en nous servant soir après soir les témoignages complètement vides de quidams "qui étaient sur les lieux de l’accident mais qui n’ont rien vu" me tape sur les nerfs. La convergence m’énerve pas mal aussi. Je suis tanné de voir la clique Céline Dion-René Angélil-Julie Snyder et Quebecor-Le Journal de Montréal servir de manne aux journaux télévisés. Et j’aimerais que Paul Larocque arrête de me parler comme s’il était mon beau-frère."

Ceci est mon corps
de Jean-François Beauchemin
Éd. Québec Amérique, 2008, 200 p.