Marie-Chantale Gariépy : Blessés de guerre
Marie-Chantale Gariépy propose une incursion dans un monde dévasté par la guerre à travers le parcours d’une femme qui, en compagnie d’un enfant trouvé, reprendra graduellement espoir en la vie.
Sparadrap, le précédent roman de Marie-Chantale Gariépy, s’attachait à une protagoniste obsédée par l’idée de sa propre finitude et dont les nombreuses tentatives de suicide – sans cesse contrecarrées par le hasard ou par autrui – l’avaient conduite à l’asile psychiatrique. Malgré la gravité de son sujet, celui du droit à la mort volontaire, ce "petit traité contre les mauvais usages de la psychanalyse" ravissait à la fois par la tonalité détachée de sa narration et par son propos doucement ironique sur le monde.
Avec Dredio, Gariépy récidive en portant son regard sur une autre réalité tragique de la condition humaine: la guerre. Le projet surprend de prime abord sous la plume de cette jeune auteure qui n’a jamais connu les affres d’un conflit armé et qui prétend avoir vécu "une enfance sans histoire" dans notre belle province. Or, le résultat est étonnamment réussi et crédible, ce qu’il faut attribuer au traitement et au point de vue adoptés pour rendre compte de cette expérience extrême.
Dans un pays imaginaire mais dont le climat et la sonorité des noms évoquent les contrées d’Europe de l’Est, la jeune Evaïa quitte la ville bombardée où elle oeuvrait au sein d’une communauté religieuse. En chemin, elle croisera Dredio, un garçon d’une dizaine d’années qui, après avoir vu mourir ses parents, la suivra sur les routes hasardeuses de leur monde ensanglanté. Sorte de "chemin de croix", leur migration en quête d’un "nouveau sol où s’ancrer" sera vécue comme une façon de guérir du désastre qu’ils partagent, comme l’urgente nécessité de "tenir tête à la folie". Au fil de leurs rencontres et de leurs nouvelles amitiés – un boulanger ayant perdu sa femme et sa fille, un éleveur de pigeons qui les fera travailler sur sa terre -, Dredio apparaîtra à Evaïa comme un véritable miracle de résilience, lui donnant l’énergie de relancer sa propre vie.
Ce roman soulève plusieurs questions généralement reliées à la guerre et à la violence: l’inconscience dans laquelle l’être humain évolue tant qu’il n’est pas frappé personnellement par le malheur, la pertinence de donner naissance à des enfants dans un monde hostile, la possibilité ou non de reconsidérer la vie avec générosité lorsqu’on a tout perdu, le sens même à donner à cette vie… La destruction et la ruine peuvent-elles salir l’âme humaine? se demande Evaïa. "Nous avions beaucoup perdu, mais en hommage aux disparus, il fallait laisser revenir la vie", en d’autres mots, tisser de nouveaux liens, se "greffer" à d’autres existences.
Dans un communiqué accompagnant le livre, la maison Marchand de feuilles présente Dredio comme un "croisement entre Louis-Ferdinand Céline et Yoko Ogawa". Il faudrait plutôt voir un mélange entre l’esprit slave d’une Agota Kristof (le pessimisme complaisant en moins) et l’humanisme romantique de Victor Hugo dans ce tableau de deux orphelins unis par l’épreuve de la perte et de l’errance. Ni optimiste ni défaitiste, Marie-Chantale Gariépy semble en fait démontrer que la guerre est une expérience que porte en lui tout être humain, et qu’à la guerre succède immanquablement la paix. Évitant toute tendance littéraire à la mode, Dredio se distingue ainsi par sa portée universelle, par une dimension quasi spirituelle qui atteint le lecteur comme une belle preuve d’audace et de courage.
Dredio
de Marie-Chantale Gariépy
Éd. Marchand de feuilles, 2008, 144 p.
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