Carmen Posadas : Belle et rebelle
L’écrivaine espagnole Carmen Posadas explore le mythe de la Bella Otero, l’irrésistible diva de la Belle Époque, dans une biographie passionnante.
Auteure d’une trentaine de livres de genres différents (romans, essais, contes pour enfants, scénarios pour le cinéma et la télévision), l’écrivaine madrilène Carmen Posadas est une des figures de proue de la littérature espagnole de l’ère postfranquiste.
Cette ex-journaliste doit sa renommée mondiale à deux romans, traduits dans 35 langues, devenus des best-sellers internationaux: Petites Infamies, qui lui a valu en 1998 le prestigieux Premio Planeta – l’équivalent dans la littérature espagnole du prix littéraire français Goncourt -, et Cinq Mouches bleues. Dans ces deux thrillers cocasses et vachards, époustouflants de verve et de drôlerie – publiés en 2000 et 2001 au Seuil -, Carmen Posadas se livre à l’autopsie sans anesthésie de la haute bourgeoisie madrilène.
Après avoir cloué au pilori le jet set espagnol, Carmen Posadas a décidé de s’aventurer dans un créneau littéraire qui ne lui était pas familier: la biographie. Celle qu’elle a consacrée en 2001 à Carolina Otero, l’une des plus riches courtisanes d’avant la Première Guerre mondiale, a connu un succès phénoménal en Espagne et en Amérique latine. Ce livre a déjà été l’objet de huit rééditions. La traduction française de La Bella Otero paraissait il y a peu au Seuil, sous le titre La Dame de coeurs.
DERRIERE LE MYTHE
Le mythe légendaire engendré par la destinée insolite de Carolina Otero fascinait depuis longtemps Carmen Posadas. "J’ai découvert un jour, par hasard, l’histoire tragique de la Bella Otero en feuilletant une encyclopédie. Ce qui m’a le plus frappée en lisant la notice biographique qui lui était consacrée dans cet ouvrage, c’est le fait que cette femme adulée, au corps de déesse, décida volontairement de se retirer du monde à l’âge de 46 ans pour que tous ceux qui l’avaient connue conservent pour toujours vivante l’image de sa beauté indicible", explique Carmen Posadas en entrevue depuis Madrid.
Née en 1868, d’un père inconnu, dans un village de Galice, cette petite mendiante, violée à l’âge de 10 ans et rendue stérile à la suite de cette agression sauvage qui la traumatisa profondément, est devenue quelques années plus tard la "somptueuse et irrésistible Andalouse au teint bruni" de la Belle Époque.
Cette femme fatale fut la maîtresse de plusieurs monarques, chefs d’État, artistes de grand renom et millionnaires durant ces années d’avant-guerre très fastueuses et bouillonnantes. Parmi ses amants éconduits: le roi Léopold de Belgique, le prince de Galles, le tsar de Russie Nicolas II, le Kaiser Guillaume d’Allemagne, le prince Albert I de Monaco, le roi Alfonso XIII d’Espagne, le puissant financier américain William Vanderbilt, le célèbre poète Gabriele D’Annunzio, Maurice Chevalier…
Après avoir vécu frénétiquement 30 ans de célébrité et dilapidé une fortune colossale, la Bella Otero décida un jour de disparaître brusquement pour que personne ne puisse la voir vieillir et péricliter. Elle a vécu cloîtrée 50 ans dans une minable pension de Nice, où elle mourut, en 1965, à l’âge de 97 ans.
Ce qui intéressait surtout Carmen Posadas en explorant la vie tumultueuse de Carolina Otero, c’était de voir comment se vit la perte de la jeunesse, la perte de la beauté et la terrible décadence d’une femme qui avait toujours vécu dans le luxe et l’opulence. "Ce livre aborde de front un sujet qui terrifie toutes les femmes depuis la nuit des temps: vieillir et voir son corps s’amocher. La plus grande victoire de la Bella Otero, c’est de ne pas avoir offert à tous ceux qui la flagornaient le sinistre spectacle public de sa décadence. Elle a préféré se retirer du monde à temps, d’une manière discrète et très digne", rappelle sa biographe.
D’après Carmen Posadas, la vie de Carolina Otero fut "une grande leçon d’indépendance féminine" – ce qui était rarissime à l’époque où elle vécut -, qui continue à inspirer les femmes d’aujourd’hui.
"La Bella Otero ne fut jamais l’esclave d’un homme, seulement de ses passions. Je crois qu’au fond, toute sa vie fut une vengeance contre les hommes, et plus particulièrement contre celui qui l’avait violée quand elle était une fillette. Six de ses amants trahis se suicidèrent pour elle. Un sacré esprit rebelle!"
La Dame de coeurs
de Carmen Posadas
Éd. du Seuil, 2007, 313 p.