Mathieu Arsenault : Sortez-moi de moi
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Mathieu Arsenault : Sortez-moi de moi

Dans un monologue à bâtons rompus, critique virulente d’une société aux repères fêlés, Mathieu Arsenault communique au lecteur un vertige noir, irrésistible.

On n’est pas surpris, en parcourant la quatrième de couverture de Vu d’ici, d’apprendre que son auteur est aussi slameur. Plusieurs des pages de ce deuxième roman – Mathieu Arsenault nous avait donné Album de finissants, en 2004, une entrée en matière applaudie – pourraient être livrées telles quelles sur une scène de slam. Voyez un peu: "On voudrait tout quitter partir dans le bois parce que la nature c’est les vacances les grands espaces les paysages immenses les montagnes des forêts de l’air pur à respirer et pourtant on ne peut voir tout ça qu’à travers le filtre du marketing photoshop ma chérie la taille mince les lèvres rouges qui plante une tente et un coucher de soleil beau à mourir sur le bord d’un lac mais une fois sorti de chez moi dans cette entrée pavée à ce feu de circulation sur ce boulevard bien éclairé je ne trouve rien pas d’amour parfait pas de vacances possibles pas de fleuve à franchir pas de campagne où fuir sinon la campagne de pub où je me retrouve jour après jour dans une forêt d’affiches cool (…)"

Vous me pardonnerez de ne pas me rendre au bout de la phrase: celle-ci, comme la plupart des phrases de ce monologue au vitriol, court sur plusieurs pages. Un procédé facile, croyez-vous? Pas autant qu’il n’y paraît, et si Arsenault n’invente rien comme tel, il parvient à nous aspirer dans le délire parano de son narrateur, scotché devant une télévision dont il sait pourtant qu’elle dope son imaginaire. Son propos est une sorte d’écho halluciné aux nouvelles, internationales d’abord, puis continentales, nationales, régionales et finalement locales, montrant peu à peu ce qu’il reste d’un jeune homme une fois qu’ont volé en éclats les repères d’une enfance passée en banlieue du monde.

C’est un registre dans lequel il n’est pas aisé d’éviter toujours le caricatural, évidemment, voire le manichéen, mais voilà un jeune auteur qui n’a pas choisi la voie de la facilité et qui, incontestablement, sait nous porter jusqu’au bout de ses coups de gueule. Prêt pour un autre tour? "(…) je veux voir des lacs d’eau huileuse d’amérique du sud ou d’afrique et le drapeau canadien qui flotte sur le devant de l’usine j’exige de voir soir après soir les conséquences du libre-échange des montagnes de déchets avec des mères de famille qui fouillent dedans des grenouilles déformées et des forêts rasées pourriez-vous nous passer au moins une fois un bon reportage de famille qui se prive de se laver parce que l’accès à l’eau potable a été privatisé par les fonds de retraite de mon pays (…)"

Et vlan.

Vu d’ici
de Mathieu Arsenault
Éd. Triptyque, 2008, 110 p.

À lire si vous aimez /
Album de finissants du même auteur, Parents et amis sont invités à y assister d’Hervé Bouchard

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Mathieu Arsenault
Triptyque