Sergio Kokis : Des feux mal éteints
Avec Le Retour de Lorenzo Sánchez, le prolifique Sergio Kokis fait le portrait d’un peintre et professeur de dessin que tout pousse à interroger son passé.
Tristan Malavoy-Racine
Quand il apprend que son poste de prof d’arts plastiques a été aboli, la faculté qui l’emploie préférant réorienter son programme vers les nouvelles technologies, Lorenzo Sánchez éprouve plus de lassitude que de colère. Ce peintre d’âge mûr, plus reconnu que populaire, sent bien grouiller en lui ce qu’il reste de ses conceptions de l’art, de son pouvoir réactionnaire, mais une voix intérieure – qui se fera entendre tout au long du roman – le raisonne constamment: "Un vieux retraité doit regarder le monde avec un sourire bouddhique, tendance zen, et non pas avec des crispations communistes, tendance Trotsky. Voilà."
Ce qui ressemble de plus en plus à une fin de carrière, voire à un début de fin de vie, va pourtant être perturbé par une série d’accrocs à l’ordre normal des choses, suffisamment pour que Lorenzo se convainque que la vie a encore des signaux à lui transmettre. Principal accroc: son frère Alberto, dont il n’a plus eu la moindre nouvelle depuis son départ du Chili, 30 ans plus tôt, a mandaté un bureau d’avocats pour le retracer. "Ce fut assez pour déclencher un véritable bouleversement dans l’esprit de Lorenzo."
Alors que des liens se recréent lentement avec sa famille, surgissent les échos d’une autre vie, celle où ce fils adopté, de sang mêlé noir et indien, avait développé une relation coupable avec sa demi-soeur Sonia. Une vie enfouie maintenant très très loin au fond de lui… "Avant l’exil, tout semblait flou, inachevé." Peu à peu, ce passé apparaît non plus comme un musée de cire éteint et incolore, mais comme un territoire encore vibrant, peuplé d’histoires inachevées.
Autant les prémisses du Retour de Lorenzo Sánchez pouvaient laisser perplexe – le vieil artiste frustré qui désespère devant ce que sont devenus l’art et le monde… -, autant Sergio Kokis mène son projet d’une main sûre, signant très certainement l’un de ses meilleurs titres. Touffu, complexe mais cohérent, le portrait qu’il fait de son protagoniste se révèle passionnant, allant avec naturel de la réflexion psychosociale au registre de l’érotisme, et montrant bien qu’en matière d’idéaux révolutionnaires, les feux sont souvent mal éteints.
Le Retour de Lorenzo Sánchez
de Sergio Kokis
XYZ éditeur, 2008, 352 p.