Cormac McCarthy : Retourner à la poussière
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Cormac McCarthy : Retourner à la poussière

L’obsédant roman La Route, qui a mérité à Cormac McCarthy le Pulitzer 2007, paraissait récemment en traduction française. Plongée dans un futur disloqué.

On dit Cormac McCarthy fort discret. L’auteur, né dans le Rhode Island en 1933, ne s’en est pas moins imposé comme l’une des principales voix romanesques de son temps, se retrouvant même, depuis quelques mois, au beau milieu de l’attention médiatique. Celui qui a vu son livre Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme porté à l’écran dans une désormais célèbre adaptation des frères Coen (Oscar du meilleur film il y a quelques jours), voit également son roman La Route, couronné l’an dernier du prix Pulitzer, s’inscrire parmi les rarissimes classiques instantanés de la littérature mondiale – plus de deux millions d’exemplaires auraient déjà été vendus.

Il y a pourtant bien peu de chose dans cette histoire. Si cette dernière n’était pas portée par la splendeur sèche d’une langue économe au possible, que la très attentive traduction de François Hirsch nous permet de goûter pleinement en français; si les bribes d’échanges entre les deux protagonistes n’étaient pas, sous leur fausse (ou leur terriblement vraie, faites votre choix) simplicité, les fruits aussi beaux que tristes d’une pensée poussée au bord du néant, La Route ne serait en fait qu’un autre de ces romans de science-fiction de lendemains nucléaires qui nous tombent des mains au bout de quelques pages, respirant trop fort le déjà lu. Or McCarthy, comme ses personnages, sait faire beaucoup avec peu.

Dans un monde dévasté, sur lequel a soufflé un vent d’Apocalypse dont on ne précise guère les causes, un homme et son fils parcourent leur pays calciné. Sur un sol couvert de cendres, ils avancent sans autre but que de ne mourir ni de froid ni de faim, et si possible de se rapprocher de la mer. Sera-t-elle encore bleue?

De temps à autre, dans la pâleur d’un soleil filtrant tant bien que mal dans l’atmosphère cendreuse, ils croisent d’autres survivants. Ce qui en général, en cette ère noire où l’être humain est contraint au chacun-pour-soi et où le cannibalisme est fréquent, n’est pas une bonne nouvelle. Il faut se cacher, préserver les quelques boîtes de conserves et les couvertures trimballées dans un caddie claudiquant.

Au-delà des petits drames du quotidien, il y a le drame profond d’un homme prêt à tout pour sauver un enfant qui, étant trop jeune pour connaître le monde d’avant, n’espère qu’à moitié une vie moins dure, et ne croit qu’à moitié dans la réalité des choses disparues, "le nom des choses suivant lentement ces choses dans l’oubli."

Dès les premières pages, ce texte nous obsède, nous fait ressentir physiquement les morsures du froid et de la faim et, surtout, nous rend infiniment sensibles au sort de ce gamin qui, malgré le doute et les nuits plus noires que noires, par une sorte de réflexe ou d’intuition venue de plus loin que sa naissance, se révèle bel et bien le "gardien du feu" que son père voit en lui.

La Route
de Cormac McCarthy
Éd. de l’Olivier, 2008, 250 p.

À lire si vous aimez /
Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, Le Vieil Homme et la mer d’Ernest Hemingway