David Descamps : La fin d’une idole
L’Apéritif des faibles, premier roman du Français David Descamps, trace la quête d’un homme qui cherche le sens à donner au suicide de son meilleur ami.
Quittant le soleil de la joyeuse Marseille, son refuge d’adoption, un homme traverse la France pour se rendre à Bailleul, dans ses Flandres natales. Là, son meilleur ami s’est récemment enlevé la vie de manière violente avant d’atteindre l’âge de 30 ans. Invité par la mère du défunt à mettre de l’ordre dans les manuscrits laissés par celui-ci, il y séjournera quelques semaines, passant la majeure partie de son temps à la table d’un café où le suicidé, Dino, avait pris l’habitude de s’enivrer.
David Descamps propose une mise en scène inusitée des suites d’une mort volontaire. Il ne s’agit pas ici de percer un secret ou de comprendre "le caractère soi-disant mystérieux, impénétrable et totalement indicible de l’acte de suicide", mais plutôt, pour le narrateur, de fixer le souvenir de l’être que fut son ami, la "férocité embrassante de Dino à vingt ans", le "charme hors de mode" de celui qui apparaissait à l’époque de leurs frasques comme le symbole séduisant de l’éternelle insouciance.
Les notes rédigées par le survivant à la table de l’estaminet constituent le texte du roman. Ses élégantes et longues phrases en spirale, un peu proustiennes, passent subtilement du "il" au "je" puis au "tu", marquant l’identification au disparu. Pour le Marseillais, nostalgique de la Corniche et de ses terrasses, il ne fait nul doute que la grise Flandre, avec ses "décennies de conservatisme catholique", participait du drame de Dino. Et de l’opposition géoculturelle, l’on glisse, au fil du texte, vers celle des époques. Alors que les mots "patrie" et "famille" sont revenus en force, le narrateur évoquera ainsi les plus libertaires années 90, avec leur "sensualité naturellement anarchiste qui ne cherch[ait] pas de futur".
L’intérêt que soulève L’Apéritif des faibles tient en bonne partie à cette posture d’observateur dans laquelle se maintient le narrateur: "Je n’ai jamais été dans l’action pure comme Dino. J’observe, je prends note, j’aime entrer en scène de manière à ne pas être vu de prime abord, presque de biais." D’où, peut-être, le courage de poursuivre jusqu’au bout cette curieuse aventure qu’est la vie, l’acceptation de l’âge adulte et du passage du temps… Les dernières photos montrant son ami "en train d’attraper les sales yeux et les sales dents jaunasses des gros fumeurs de joints" marquent ainsi non seulement la fin d’une époque, mais le fracassement douloureux d’une idole autrefois adorée.
L’Apéritif des faibles
de David Descamps
Éd. Les Allusifs, 2008, 100 p.
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