Marie Christine Bernard : Le bateau ivre
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Marie Christine Bernard : Le bateau ivre

Marie Christine Bernard cause l’une des belles surprises de la saison avec Mademoiselle Personne, roman à quatre voix peuplé de fantômes maritimes et dont chaque mot semble parfumé du varech des côtes gaspésiennes.

"Finalement, je crois que ce que veulent les secrets, c’est tout simplement qu’on les cherche. Pas qu’on les découvre."

Cette phrase, qui clôt la première partie de Mademoiselle Personne, et donc le propos du premier de ses quatre narrateurs, porte l’essence du livre à elle seule. En proposant plusieurs lectures d’une même histoire, celles de ses quatre protagonistes, Marie Christine Bernard multiplie en effet les questions autant que les réponses, faisant flotter autour de son exquis deuxième roman un parfum de mystère, parfum conjugué à tous les miasmes iodés de la terre gaspésienne.

Le village côtier de Sable-Rouge a été le théâtre d’événements tragiques. Au début des années 1920, le sort s’est déjà acharné sur la famille de Céleste, mais pour la menue blonde au visage de lutin, toujours vêtue de blanc, le temps des deuils ne fait que commencer. Quelques années après que son père et son frère se furent noyés, la laissant seule avec sa mère et l’énigmatique Marie l’Indienne, une fille aux origines floues qui, avec ses yeux verts très pâles, n’avait certes pas "que des Indiens dans son lignage", la jeune femme doit accepter que soit vendu le Lady Céleste, cette goélette aussi élégante que robuste bâtie par son père, bateau spectaculaire dont elle dira qu’il ne faisait qu’un avec elle. Céleste prévient d’ailleurs son acheteur: "Si vous aimez mon bateau, vous allez être obligé de m’aimer moi aussi." Pour le meilleur et surtout le pire, aurait-elle pu ajouter.

Le récit est tour à tour porté par Justin, ce journaliste qui, longtemps après que le Lady Céleste fut disparu en mer, séjournera à Sable-Rouge, tombant fou amoureux d’une Céleste sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise; par Will, qui lui aussi avait été fou d’elle, tel qu’annoncé lors de la vente de ce bateau dont il sera l’ultime capitaine; par Émile, ami d’enfance de la belle et son éternel prétendant; et enfin par Céleste elle-même, fascinant personnage, véritable sirène née de la mer et qui pourtant se révoltera contre elle.

Histoire de violence et de perte, Mademoiselle Personne en est aussi une de passion, d’amour plus grand que nature. Et de sensualité. Celle qui publiait en 2006, sous le pseudonyme de Marie Navarre, le livre de récits coquins La Mort, l’amour et les trois chevaliers (Stanké) sait y faire dans le registre, et les passages érotiques, auxquels est loin de se résumer ce roman d’une grande richesse, sont ici particulièrement réussis.

Habile puzzle traversé de voix d’outre-tombe, portrait d’une région dure et belle et, surtout, hommage aux élans du coeur comme du corps, Mademoiselle Personne fait entrer Marie Christine Bernard dans le petit groupe des auteurs québécois à suivre de très près.

Mademoiselle Personne
de Marie Christine Bernard
Éd. Hurtubise HMH, 2008, 320 p.

Mademoiselle Personne
Mademoiselle Personne
Marie Christine Bernard
Hurtubise HMH