Michel Garneau : Littérature comparée
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Michel Garneau : Littérature comparée

"Traduire, c’est trahir", entend-on quelquefois. Mais ça peut aussi être réagir et partager, lorsqu’un poète en inspire un autre. De Leonard Cohen à Michel Garneau.

C’est en traduisant sous le titre de Livre du constant désir le Book of Longing de Leonard Cohen que Michel Garneau s’est fixé un but ambitieux: après chaque traduction, il écrirait lui aussi son poème. C’est ainsi que sont disponibles depuis peu en librairie ses Poèmes du traducteur.

"J’ai suivi Cohen à partir du moment où il a publié, et on pourrait dire que je l’ai accompagné dans son développement, lisant à la fois ses romans et sa poésie, même lorsque je n’étais pas d’accord avec lui." Même si la jaquette des Poèmes du traducteur nous les montre rigolant comme larrons en foire, Garneau parle de Cohen comme d’un interlocuteur plus qu’un ami. "Pour être des amis, faut se voir au moins un peu, et je ne vois Leonard que très rarement, mais j’ai l’impression de le connaître parce que je l’ai suivi et traduit. Il y a des écrivains que j’ai suffisamment fréquentés pour que je les considère comme des interlocuteurs, même s’ils sont morts, comme Catulle, Montaigne, Henry Miller. Je suis écrivain parce que je suis lecteur. Si on ne lit rien, ça paraît. Quand on est un lecteur qui va écrire, on absorbe différemment."

C’est ainsi que sous le titre de chaque poème de Garneau, on trouve le titre original du poème de Cohen ainsi que celui de sa traduction. "C’est surtout pour occuper les critiques", a déclaré un Garneau moqueur dans une récente entrevue, à propos de la possibilité de lire les deux recueils en parallèle. Celui ou celle qui tente l’expérience ne peut s’empêcher de remarquer des différences fondamentales entre les deux hommes. Aux poèmes de Cohen, dans lesquels prime le sentiment religieux, correspondent souvent des poèmes de Garneau où surgit le côté anticlérical de ce dernier. "Nous sommes parfois diamétralement opposés, avance Garneau, mais une chose que Cohen a apprise de son roshi [ndlr: le maître zen avec qui il étudia], c’est qu’on peut comprendre le monde avec humour". Un art que maîtrise manifestement Garneau.

Ces Poèmes du traducteur paraissent dans un format autre que celui de la collection de poésie de l’Hexagone, ce qui semble contenter le principal intéressé, heureux de demeurer inclassable. "J’écris pour être lu, et j’écris à partir de ce que je connais. L’imagination, c’est ce qui nous fait voir le réel qu’on a sous les yeux. Ma poésie s’organise autour de deux critères. Premièrement, c’est-tu vrai? Deuxièmement, il ne faut pas qu’il y ait de poème derrière le poème. Et puis, Leonard est aussi un très bon poète, ce qui nous révèle à nous-mêmes."

Poèmes du traducteur
de Michel Garneau
Éd. de l’Hexagone, 2008, 352 p.

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D’UN POETE A UN AUTRE

S’il existait une justice en poésie, Michel Garneau remplirait lui aussi la salle Wilfrid-Pelletier pour trois soirs, tout comme Leonard Cohen s’apprête à le faire en juin prochain. Personne ne pourra dire que la poésie est inaccessible en lisant ce recueil. Tout à la fois tendres et ironiques, enjoués et graves, on entend souvent derrière ces poèmes le rire rabelaisien de Garneau. Non seulement ces Poèmes du traducteur constituent-ils l’un des recueils les plus consistants de Garneau depuis longtemps, mais cela semble en plus lui avoir redonné le goût de s’atteler au grand oeuvre à venir, un hommage aux formes poétiques. "Je suis rendu dans ma maturité poétique. Je sais ce que je veux et je sais que c’est un projet ambitieux."