Rémy Girard : Les grands exploréens
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Rémy Girard : Les grands exploréens

Rémy Girard se lance dans la plus folle aventure de sa carrière: la mise en chanson, en compagnie de son frère Jean-Fernand, d’une quinzaine de textes de Claude Gauvreau. Écho d’un périple complètement grul-de-ftnutchiourg…

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l’ucup des posses a briche de viol
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Pas de quoi faire une chanson? Allons donc… Parlez-en à Rémy Girard, son frère Jean-Fernand et Normand Chouinard, qui travaillent actuellement à "enchansonner" quelques textes de Claude Gauvreau. Quand on veut, on peut!

Nous avons rencontré les maîtres d’oeuvre de cette adaptation un peu casse-gueule, il faut le dire, dans leur local de répétition. Ça sue à grosses gouttes là-dedans, à quelques jours d’une première dont Rémy n’hésite pas à dire qu’elle représente "l’un des plus gros stress" de sa carrière.

"Je n’ai pas choisi la voie la plus facile!" admet en riant Rémy Girard, qui dit rêver depuis toujours de faire un show de chanson. C’est finalement à travers ce Rémy Girard enchansonne Claude Gauvreau, qui prend bientôt l’affiche à l’Usine C, que son voeu se réalise, lui permettant du coup de rendre hommage à un créateur dont les mots l’habitent depuis fort longtemps.

IL ETAIT UNE FOIS

Si ce projet lui trotte dans la tête depuis 8 ou 9 ans, il faut en effet remonter plus loin pour en trouver les germes. Remonter 35 ans en arrière, pour être précis. "J’étais alors en dernière année au Conservatoire d’art dramatique de Québec, se souvient Rémy Girard. On avait monté un collage de quelques-uns des textes de Gauvreau avec Jean-Pierre Ronfard, qui connaissait bien le sujet puisqu’il venait tout juste de monter Les oranges sont vertes au TNM (1972). Ç’a été une révélation pour moi, j’ai été soufflé par cette langue tellement inventive, tellement forte."

Aujourd’hui, c’est un peu le lointain écho de ce coup de foudre que nous propose le comédien. Avec ses acolytes, il a isolé des morceaux éloquents de l’oeuvre, se concentrant essentiellement sur la période d’intense création qu’ont été pour Gauvreau les années courant de 1948 à 1952, années consacrées d’abord à la poésie par celui qui, par la suite, s’est investi franchement dans l’écriture dramaturgique.

Se côtoient ici des poèmes revendicateurs, chargés à bloc, et d’autres plus romantiques, amoureux, ainsi évidemment que quelques perles en langue exploréenne. Si certains choix relèvent de coups de coeur personnels, il y avait des incontournables, tel Ange métorfôze sur les dalles. "Celui-là, dont on a fait un hip-hop, on le place vers la fin du spectacle, explique le compositeur Jean-Fernand Girard. Parce que pour nous, c’est le poète qui nous lègue sa modernité."

"Sinon, il y a tout de même des incursions dans l’oeuvre théâtrale, dit Rémy Girard. Dans Les Quêteux disloqués, par exemple [la pièce a d’ailleurs donné son nom au groupe de cinq musiciens formé pour l’occasion, qui accompagnera le comédien-chanteur], ou encore dans la courte pièce La Jeune Fille et la Lune. Il y a même un extrait de La Charge de l’orignal épormyable." Le projet a-t-il nécessité une certaine réécriture, une refonte? "La seule liberté qu’on s’est permise, précise-t-il, c’est par exemple de parfois répéter un groupe de vers, de ramener le titre, mais sinon, nous n’avons pas du tout trafiqué les poèmes, nous voulions respecter le texte dans son intégralité. D’ailleurs, l’exercice que ça représente d’adapter la musique au texte, et non l’inverse, ça va dans le sens de notre projet initial: créer une musique autour de ces textes-là."

Jean-Fernand Girard, qui a relevé l’improbable défi de tirer de véritables chansons de ce magma verbal incandescent, intervient avec passion: "Comprenons-nous bien: ce ne sont pas des textes de chansons au départ, loin de là! Ç’a été le plus beau trip de ma vie, mais j’ai travaillé fort! C’est de la prose libre… Devant une telle matière, on cherche nos repères pendant un certain temps. Puis, à un moment donné, on comprend vraiment l’univers de Gauvreau, on réalise qu’il a fait en poésie ce que les impressionnistes ont fait en peinture et en musique. Il jouait autour de syllabes, de sonorités. Musicalement, j’ai compris que je devais m’imprégner de la rythmique propre de l’oeuvre. Elle contient déjà sa musique, en fait."

Entre les textes enchansonnés, on entendra entre autres des bouts de correspondances, celle que Gauvreau entretenait avec ses étudiants, ou encore avec Paul-Émile Borduas. "Ça aide beaucoup à la compréhension du personnage, croit Girard, parce qu’il est très volubile dans cette correspondance, il parle de lui, de ses projets, où il veut aller en création. Il dit par exemple considérer parfois les mots d’abord comme des sons, des onomatopées."

SONS ET LUMIERES

Rémy Girard enchansonne Claude Gauvreau, c’est aussi un spectacle multimédia. Le jeune infographiste Christian Pomerleau a conçu des projections illustrant par moments quelque chose de précis – on verra, paraît-il, des bouts d’un discours de Duplessis! – mais destinées, le plus souvent, à appuyer de façon non figurative ce qui est livré sur scène. "D’ailleurs, rappelle le metteur en scène Normand Chouinard, Gauvreau, c’est aussi la peinture. Il était très proche des automatistes – il est l’un des signataires de Refus global, ne l’oublions pas -, il était critique d’art, farouche défenseur de la peinture non figurative, sans compter que son travail poétique était en écho au travail des automatistes. Alors, il était naturel que nous intégrions des détails de tableaux, par exemple."

Cette enveloppe visuelle et musicale permettra, selon les principaux intéressés, d’éveiller les gens à une oeuvre moins hermétique qu’il n’y paraît. "Les gens nous disent: "Ben tiens, avec la musique, on dirait qu’on comprend mieux les paroles!" Et il faut dire que ce n’est pas toujours en exploréen, il y a des poèmes très signifiants, dans une langue très pure, très parlante."

Jean-Fernand renchérit: "Les gens vont retrouver le Gauvreau qu’on connaît le plus, le provocateur, l’auteur de L’Ode à l’ennemi, ce texte très dur, violent même – on en fait d’ailleurs un rock dans le spectacle -, mais je crois que plusieurs vont découvrir ce Gauvreau capable de grande tendresse, qui se met à fantasmer sur la beauté des choses."

"Et puis il se trouve que le spectacle coïncide avec le 60e anniversaire de Refus global, se réjouit Normand Chouinard. Ce n’était pas prémédité, mais on se rend compte qu’il y a ces jours-ci dans l’air le désir de se souvenir de cette époque où le Québec s’animait sur le plan culturel, de mieux comprendre comment ça s’est passé. Gauvreau joue un rôle de premier plan dans toute cette mouvance."

Quand les astres s’alignent…

Du 16 au 26 avril
À l’Usine C

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CLAUDE GAUVREAU (1925-1971)

Poète, dramaturge, vibrant polémiste, critique d’art et de théâtre, Claude Gauvreau est sans conteste l’une des grandes figures de la littérature québécoise, un créateur parmi les plus actifs à l’heure où cette dernière s’affirmait ici comme ailleurs dans le monde.

Créateur d’un langage qui lui était propre, l’exploréen, il a laissé une oeuvre poétique riche et des pièces de théâtre qui occupent une place à part dans la dramaturgie québécoise, dont L’Asile de la pureté (1953), La Charge de l’orignal épormyable (écrite en 1956 mais créée en 1974), Les oranges sont vertes (créée en 1972). Il a également écrit de nombreux textes pour la radio.

Signataire de Refus global en 1948, ami et défenseur des peintres automatistes, c’est par ailleurs lui qui organisera La matière chante, en 1954, la dernière exposition du groupe.

Sa vie privée, marquée entre autres par le suicide de la comédienne Muriel Guilbault, son grand amour, a été ponctuée de séjours en institut psychiatrique. En 1971, on le retrouve mort au pied d’un immeuble montréalais. Il aurait sauté du toit.