Le Totem du loup : La Chine a vu le loup
Le Totem du loup s’est vendu à 20 millions d’exemplaires en Chine. Jiang Rong, l’auteur de ce roman d’aventures, y exhorte ses compatriotes à reprendre du poil de la bête.
Roman initiatique, Le Totem du loup tient aussi de l’autobiographie. Jiang Rong s’est inspiré de ses expériences de jeunesse: celles d’un jeune Chinois, volontaire des gardes rouges en pleine révolution culturelle, qui s’installe en Mongolie-Intérieure pour essayer de convaincre les nomades de se sédentariser. Confronté à ce peuple fier et résolument nomade, celui-ci découvre très vite la futilité de la mission qu’on lui a confiée.
Les Mongols, à l’instar de leur totem, le loup des steppes, ne sont pas domptables. Ceux-ci calquent leur rythme de vie sur celui de la bête qu’ils vénèrent. Ils sont convaincus que c’est en côtoyant les loups au fil des siècles qu’ils ont appris à chasser et à faire la guerre. Rong martèle le même message tout au long de cette fable à la Jack London: "C’est un loup qu’il faut être, pas un mouton." Le Mongol, nomade proche de la nature, courageux, vaut mieux qu’un Han (ethnie majoritaire chinoise) sédentaire et servile. En bref, selon Rong, les Chinois manquent de cran.
L’auteur dénonce en filigrane un régime totalitaire aux diktats étriqués et réducteurs et dresse en exemple l’esprit puissant de liberté qui habite les habitants des steppes de la Mongolie, hommes comme loups. C’est pourquoi ce premier roman de Jiang Rong a suscité en Chine d’intenses débats. Ses thèses ont choqué, à parution du livre il y a trois ans, bien des conservateurs partisans de l’ordre établi. Mais Le Totem du loup a aussi su séduire la nouvelle classe entrepreneuriale chinoise et même, murmure-t-on à Beijing, quelques hauts dirigeants du Parti.
Ce n’est, en effet, sans doute pas un hasard si ce brûlot déguisé en roman d’aventures efficace se retrouve maintenant sur la table de chevet des membres de la nouvelle élite chinoise. Les propos de Rong ont de quoi inspirer le plus féroce des hommes d’affaires. Et c’est pourquoi Le Totem du loup n’a pas été censuré malgré le tollé qu’il a déclenché: son invitation au dépassement de soi, même si elle va à l’encontre de la doctrine officielle d’hier, est aujourd’hui la bienvenue. C’est une évidence que dans la nouvelle économie chinoise, il vaut mieux être un prédateur qu’une proie.
Certains trouveront, derrière l’admiration que porte Rong à "l’intelligence, la patience, la discipline et le sens de l’organisation des loups en action", l’apologie de la loi du plus fort, de l’ultralibéralisme. Des critiques ont même cru déceler chez l’auteur un certain penchant pour l’extrême droite. Des accusations que Jong réfute dans son livre: "On peut s’armer de l’esprit du loup pour accomplir des exploits admirables comme pour perpétrer des crimes fascistes. Le bon ou le mauvais usage qu’on en fait dépend de l’homme."
Le Totem du loup
de Jiang Rong
Bourin Éditeur, 2007, 576 p.
À lire si vous aimez /
Le Fils du loup de Jack London, Le Loup bleu de Yasushi Inoué, La Steppe d’Anton Tchekhov