Ivy : L'Amérique, pédale au plancher
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Ivy : L’Amérique, pédale au plancher

Ivy a choisi la poésie pour la défendre avec verve. Armé du slam, il revendique sa lutte.

Au moment où débute cet entretien, le poète se questionne et tente de choisir entre Walt Whitman et Claude Gauvreau. Deux poètes, l’un américain et l’autre québécois, qui, à ses yeux, correspondraient en tous points à la thématique imposée pour le spectacle qu’il donnera en compagnie de Fredric Gary Comeau, Mara Tremblay et Tristan Malavoy. La tâche est lourde mais l’exercice, lui, semble passionnant. Ivy (Ivan Bielinski) se montre généreux en décrivant ces deux poètes dont il s’abreuve. "Je suis le nouveau venu et je m’intègre dans un concept qui existe déjà depuis un certain temps, constate-t-il. L’objectif est de choisir un auteur que nous privilégions et qui traite de la route et du voyage. J’ai l’impression que je me casse la tête avec Whitman… mélanger des extraits en anglais avec le français. Je me demande si ce sera possible d’intégrer tout ça." Deux jours après cette entrevue, il tranchera et choisira une suite de poèmes de Paul Chamberland.

Les idées fusent dans la tête de l’auteur et la passion qui s’en dégage est contagieuse. Après avoir fondé le groupe Ivy et Reggie, il est devenu l’acteur principal de la scène slam montréalaise en 2005 lorsqu’il créa Slamontréal et la Ligue québécoise de slam deux ans plus tard. Le voici maintenant avec un premier disque (et livre) en poche, Slamamérica, qui confirme son statut. Le statut d’un poète né en France, grandi en région et devenu artiste à Montréal. "Montréal, c’est mon Eldorado! C’est comme ma Californie."

L’image de l’homme dans une voiture qui regarde les passants témoigne du sentiment qu’il cultive. Oui, le poète aime les mots, mais il aime aussi la liberté qu’ils incarnent. Une liberté qui fait partie de l’Amérique et des peuples qui, autrefois, l’habitaient en étroite relation avec leur environnement. "Les Amérindiens, je les appelle le peuple fantôme, précise-t-il. Tu sais, on dit de la Bretagne que c’est la source où la France a puisé son imaginaire et ses légendes. Les Amérindiens nous ont beaucoup donné à ce titre et leur rapport à la nature a contribué à la vision que nous avons de ce pays."

"Et qu’on se métisse, et qu’on s’amalgame, et qu’on tisse le grand slam." Le poète-musicien d’origine française a fait du slam une conviction. Il s’amuse avec l’image du prophète et rêve d’une poésie qui retrouve sa raison d’être. Une poésie qui retourne aux gens, dépourvue de toute structure hiérarchique. Peu importe si certains puristes jugent que le slam est un compromis inacceptable, la poésie est pour lui un art vivant. "Avec le slam, on juge la générosité de l’interprète. Ce qui est important, c’est la présence qu’il dégage sur scène. Ça casse le moule! Si tu es sur la scène en train de réciter ton texte tout en buvant tes propres paroles, et qu’en plus ça dure plus de trois minutes, on souffre! La raison d’être de la poésie n’est pas de faire souffrir."

"Le scoop de l’heure: une autre tuerie, où le tueur s’est fait hara-kiri. Et c’est reparti, le show time!" Cet extrait du poème Le Tireur d’élite tape dans le mille et pointe sans détour cette assimilation collective d’événements qui nous dépassent grâce à la collaboration d’un système bien implanté et qui conditionne. "Ce texte, c’est mon chemin de croix, résume Ivy. J’ai dû en faire des dizaines de versions. Au début, c’était une ode pour une fille. Plus je travaillais sur ce texte, en y intégrant le rythme, et plus les choses ont commencé à changer. Après les événements entourant Dawson, j’ai abordé une nouvelle dynamique en portant mon attention sur un père qui enfante un meurtrier. J’ai jonglé avec tout ça et ce n’était pas encore assez "punché". J’ai écrit une introduction par la suite et, de cela, tout a déboulé spontanément: de la place des médias dans un tel drame jusqu’à l’aliénation d’un tireur fou."

"They won’t forget you my son, for what you’ve done." Les paroles sont directes et dépourvues de morale. Malgré une vision engagée et critique, Ivy se garde bien de faire de la polémique. D’un commun accord, nous arrivons aux même conclusions sur son disque: il s’adresse aux gens qui circulent dans la ville et qui oublient tout. Il les interpelle tout simplement pour lutter contre l’inertie. "Il n’y a pas de réponses aux questions, il faut sortir la poésie du débat. Bon… On va encore dire que je fais mon preacher en disant ça… Mais cet état par lequel on juge tout ne pousse qu’à recréer quelque chose. Il faut sortir d’ailleurs! Le plus important dans la poésie, ce sont les gens et leur façon de l’interpréter. Le reste… cette école de pensée qui glorifie les livres comme si la poésie était pour les musées… Qu’on les brûle, les livres! Ce qui importe, ce n’est pas ça; c’est la réflexion qu’on peut tirer d’une idée et la quête qui s’ensuit."

Le 19 avril à 19h30
Au Salon international du livre de Québec
http://silq.org

À écouter si vous aimez /
Ivy et Reggie, la poésie de Claude Gauvreau, Grand Corps Malade