Joseph Boyden : L’homme est un loup pour l’homme
À travers les nouvelles qui composent Là-haut vers le nord, l’écrivain canadien Joseph Boyden explore le mal-être et les rêves fragiles des Cris et Ojibwés du nord ontarien. Un regard autre, à hauteur d’hommes et de femmes, sur les Premières Nations.
Publié quatre ans avant Le Chemin des âmes, best-seller traduit en une quinzaine de langues et en cours d’adaptation pour le cinéma, Là-haut vers le nord paraît enfin en traduction française. La première nouvelle du recueil – la bouleversante "Né avec une dent" – suffit d’ailleurs à nous en convaincre: le succès instantané remporté par Joseph Boyden avec son roman n’avait rien d’un accident, son incroyable maîtrise du récit éclatant déjà tout à fait dans ce premier livre.
Ici, l’écrivain aux origines plurielles (écossaises, irlandaises, indiennes) se penche sur le sort de communautés amérindiennes meurtries, qui cherchent tant bien que mal, entre les vapeurs d’essence, les violences policières et les errements identitaires, à demeurer dignes, à l’écoute de la voix des ancêtres. Ces 13 nouvelles, qui ont pour décor les abords de la baie James, dans le nord de l’Ontario, pointent souvent les cas les plus extrêmes de la douleur autochtone, mais l’ensemble n’en traduit pas moins les difficultés d’une cohabitation jamais simple entre Anishabe (Indiens) et Wemestikushu (hommes blancs). Or s’il porte un jugement sur tout ça, Boyden le fait sans appuyer, dans une langue apolitique, celle d’un récit qu’il fait osciller avec une adresse folle entre réalisme cru et caractère magique, sacré.
Divisé en quatre parties, chacune étant liée à un point cardinal, Là-haut vers le nord montre pourtant une série d’êtres déboussolés, au bord d’une ligne de faille. Après la nouvelle initiale, portrait d’une jeune métisse hantée par ce loup dont elle s’était fait un ami et qui a été tué, destiné à finir sa carrière épinglé au mur d’un salon torontois, Boyden brosse avec verve sa galerie de personnages abîmés par la vie mais qui veulent y croire encore. Il y a ces jeunes femmes qui tentent de ressusciter leur groupe de punk, dont la carrière a été fortement ralentie pas les grossesses à répétition de plusieurs de ses membres. Il y a aussi Sylvina, épouse d’un revendeur de coke et mère d’une fillette, qui refuse de "revivre peu à peu la vie de sa mère, au fil des jours et des semaines" et dont la fuite de Moose Factory, en compagnie du pilote chargé du ravitaillement hivernal, va virer au cauchemar.
Plus loin, le petit Noah fait des pieds et des mains pour attirer l’attention des lutteurs de passage sur sa réserve à l’occasion d’un grand gala de lutte. Le gamin, convaincu d’avoir trouvé sa voie, veut lui aussi parcourir le pays en imposant sa loi sur le ring. Encore là, projet d’évasion.
La palette de couleurs est large, allant de la tristesse noire à la grâce, de la bagarre à la tendresse pure, et si certains passages nouent la gorge du lecteur – la descente aux Enfers de Crow, complètement accro aux vapeurs de sans plomb, est quasi insoutenable -, Joseph Boyden parvient à conférer à ses personnages une beauté, une humanité, celle de peuples à moitié déracinés mais entretenant néanmoins un lien inaliénable avec la terre.
Là-haut vers le nord
de Joseph Boyden
Trad. par Hugues Leroy
Éd. Albin Michel, coll. "Terres d’Amérique", 288 p.
À lire si vous aimez /
Le film Le Peuple invisible, de Richard Desjardins et Robert Monderie