Louise Dupré : Le tout pour le tout
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Louise Dupré : Le tout pour le tout

Louise Dupré fait paraître L’Été funambule, 25 nouvelles croquant sur le vif autant de destins de femmes en train de se jouer.

Comme c’est souvent le cas en littérature, il aura fallu qu’un projet périphérique se concrétise pour mettre en lumière une oeuvre entière aux yeux d’un large lectorat. Depuis l’énorme succès de Tout comme elle, ce spectacle tiré de l’un de ses textes par Brigitte Haentjens, en 2006, le travail de Louise Dupré, qui le méritait depuis longtemps, jouit d’une indéniable attention publique et médiatique.

Au coeur de cette folie scénique réunissant 50 femmes sur la scène de l’Usine C, il y avait la thématique de la relation mère-fille, et plus globalement celle de femmes inscrivant leur vie dans la trame de leur époque et de l’humanité. Des questions centrales dans les écrits de Louise Dupré, posées ici encore, sous une forme différente. "Je dirais que L’Été funambule fait particulièrement suite aux deux romans que j’ai publiés, La Memoria et La Voie lactée, et aussi à mes deux derniers recueils, Tout près et Une écharde sous ton ongle. Ça s’inscrit en fait dans une réflexion de femmes arrivées à l’été de leur vie, qui regardent en arrière et en avant, et qui ont l’impression d’être des funambules marchant sur un fil. Elles ont eu beaucoup de rêves, et même des utopies, et les voilà qui réfléchissent au temps qui passe, au vieillissement, à la douleur."

Rupture amoureuse, maladie d’un proche, mais aussi perspective professionnelle, complicité immédiate avec un inconnu… Chaque femme rencontrée dans ces pages doit remettre en question une vie patiemment tissée au fil des ans. Dès lors, s’enclenche toute la petite mécanique du doute: est-ce que, en dépit des convenances, des réflexes, des habitudes, "une autre femme peut surgir"?

JE ET LES AUTRES

Devant les bouleversements, les blessures, se présentent des soutiens, des consolations. Celle de l’amitié en outre, célébrée dans plusieurs nouvelles. "Dans Fin de soirée par exemple, souligne Louise Dupré, des femmes qui ont fait le choix d’immigrer au Québec vont, par les amitiés, se reconstruire une famille. L’amitié me semble être d’une grande importance dans la vie. Elle peut préserver les repères même quand tout le reste se fragilise."

Ailleurs, c’est une fois encore le lien mère-fille qui donnera un sens à la réalité qui s’effrite. "Il y a cette femme qui connaît une grande peine d’amour, et que va soutenir sa fille. La force que donne la relation parent-enfant, à partir du moment où on se respecte les uns les autres dans nos différences, elle est indéniable pour moi."

Puis il y a le désir. "On survit même sans croire", lit-on dans Le Monde vidé, à condition qu’il y ait le désir. "L’amour a toujours été un thème important chez moi, et l’amour physique, entre autres, quand il représente d’abord une ouverture à autrui. Tout ce qui mène vers l’autre m’intéresse, de toute façon. Et j’ajoute que le désir, c’est aussi le moteur de la création… Dans la nouvelle Insomnie, une fille fugue et sa mère, morte d’inquiétude, va finir par commencer un tableau. Même si elle ne peint que du noir, il y a une foi en la création. Il y a dans ses gestes un désir de perdurer, de rester du côté des vivants."

Tout ça est porté par une langue riche mais sobre, qui donne du relief à son sujet sans jamais l’éclipser. "Je ne voulais pas que ce soit fermé ou hermétique, j’ai voulu créer des petits tableaux. J’ai travaillé comme un peintre, ou plutôt un dessinateur. C’est ce que la nouvelle permet de faire comme genre, d’ailleurs: dessiner à gros traits, fixer un moment dans la mémoire, fixer l’authenticité de ce moment. C’est une attitude de poète, aussi, cette idée de rendre la finesse, la justesse d’un regard en peu de mots."

Poète, Louise Dupré l’est jusqu’au bout des ongles et en chaque phrase, les mots semant dans l’esprit du lecteur une multitude de points d’orgue, qui prolongent les thématiques longtemps, bien longtemps après que le livre est refermé.

L’Été funambule
de Louise Dupré
XYZ éditeur, 2008, 156 p.

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L’ETE FUNAMBULE

Sur la couverture de L’Été funambule, une toile de Kirchner intitulée Femme devant un miroir, ce tableau montrant une femme qui apparaît autre dans la glace où elle se mire. L’oeuvre est une parfaite introduction à cette suite de courtes nouvelles – plusieurs ne comptent que trois pages – présentant des femmes poussées à marcher un temps à côté d’elles-mêmes, à poser un regard neuf sur leur existence.

Louise Dupré, au sommet de son art, interroge la difficulté qu’éprouvent ces dernières à s’écarter des chemins tracés d’avance; leur difficulté à écouter la voix des intuitions. À un autre degré, l’auteure pointe la sédentarité nord-américaine, tous les schémas qu’elle impose à nos vies.

L’ensemble est d’une grande cohésion, bien que les variations de ton soient nombreuses, la narration passant du je au vous, parfois au elle; du présent au futur. C’est que pour étudier à fond le sujet, il s’imposait de varier les angles de vue. "Ça crée un effet de distance et de rapprochement, où l’image se précise puis se brouille", dira l’auteure, photographe attentive des soubresauts du coeur.

L'Été funambule
L’Été funambule
Louise Dupré
XYZ