Zhimei Zhang : Une vie sous surveillance
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Zhimei Zhang : Une vie sous surveillance

Tandis que Pékin peine à se confectionner un visage à peu près démocratique à la veille de ses Jeux olympiques, les lecteurs francophones peuvent enfin partager les souvenirs de la Montréalaise Zhimei Zhang, racontant sa jeunesse sous le régime communiste chinois. Plus ça change…

Née en 1935 dans une famille marquée du double stigmate intellectuel et bourgeois, Zhimei Zhang a vécu la libération de Pékin par les communistes alors qu’elle n’avait que 13 ans. Élevée jusque-là dans une maison confortable, entourée de domestiques et d’oeuvres d’art, elle verra son père désigné comme "traître à la Chine" et forcé de mettre un terme à sa carrière dans la fonction publique pour finir ses jours comme simple balayeur. Ainsi l’entendaient les révolutionnaires dans leur prétention à éliminer tout ce qui pouvait symboliser le passé impérial et l’occupation japonaise.

Traductrice, professeure d’anglais et journaliste jusqu’à son immigration au Canada à l’âge de 50 ans, Zhimei Zhang s’est elle-même vu traiter de façon mesquine à cause de ses origines sociales, mais aussi de son intérêt considéré suspect pour les cultures étrangères. À une époque où les lettres de créance politiques étaient plus importantes que les compétences professionnelles pour l’embauche d’un professeur, elle doit par exemple nettoyer les toilettes de l’école où elle est censée enseigner. La correspondance qu’elle entretient avec une amie allemande la faisant suspecter d’espionnage, elle subira également de violents interrogatoires et sera envoyée en "rééducation", partageant durant plusieurs mois l’existence misérable des paysans en guise de "redressement idéologique". Tout cela en plus de mener la vie typique d’une jeune femme du 20e siècle: deux mariages, deux maternités, quelques changements de carrière…

C’est à la suite d’une entrevue de Zhimei Zhang à Radio-Canada en 2006, à l’occasion du 40e anniversaire de la Révolution culturelle, qu’est née l’idée de cette version française de Ma vie en rouge, paru en anglais en 1992. Plus qu’un banal témoignage, avec son style d’une belle fluidité (rendu par la traduction soignée de Gilles Jobidon), l’ouvrage se démarque par son tableau en demi-teintes de la vie sous un régime tyrannique. Ne se contentant pas de souligner les innombrables absurdités du système, l’écrivaine convient d’abord de l’exaltation qu’elle a ressentie lors des premiers rassemblements de l’ère communiste où dominait un fort sentiment de camaraderie. Au fil des années, toutefois, les observations deviennent plus désabusées: les relations humaines se détériorent tandis que le régime de terreur encourage les dénonciations entre collègues, amis, voisins et membres d’une même famille.

Avouant avoir elle-même rédigé des dénonciations afin de se protéger, Zhimei Zhang fait preuve d’une courageuse honnêteté, parvenant ainsi à faire comprendre au lecteur le mécanisme de la peur et de la servilité lentement intégrées, vécues de l’intérieur. Un discours tristement actuel, faut-il le préciser, au moment où la nouvelle Chine capitaliste continue d’exercer la censure et de violer les droits de la personne, le mouvement de répression qui bat son plein au Tibet n’étant que la pointe visible d’un iceberg que choisit d’ignorer l’Occident, soumis au géant économique.

Zhimei Zhang, dont le livre est interdit dans son pays natal, travaille aujourd’hui à un nouveau récit autobiographique consacré à son expérience canadienne.

Ma vie en rouge: une femme dans la Chine de Mao
de Zhimei Zhang
Traduit par Gilles Jobidon
VLB éditeur, 2008, 272 p.

Les 18, 19 et 20 avril
Au Salon international du livre de Québec
http://silq.org