Josée Bilodeau : Poésie urbaine
Dans un fort beau roman, Josée Bilodeau s’intéresse à la multitude de circonstances pouvant frapper les citadins lors d’une chaude journée de printemps.
Dans une ville anonyme qui ressemble en tous points à Montréal, avec ses ruelles, ses escaliers extérieurs, ses accents portugais et madelinot entremêlés, une canicule hâtive exacerbe les pulsions des habitants: une adolescente vit tragiquement l’apparition de ses premières règles; un chauffeur de taxi fait un infarctus devant une cliente qui vient de quitter son mari; un homme voit son anniversaire troublé par son fils qui dévoile sa vraie nature; des anarchistes crèvent les pneus de véhicules énergivores…
Manifestement douée pour la nouvelle, Josée Bilodeau a choisi de relier la soixantaine de microrécits formant son dernier livre par de nombreux et subtils fils conducteurs, tissant ainsi un véritable roman, un univers en soi. Univers dans lequel on pénètre avec ravissement, mais dont on ressort légèrement écorché. Car sur cette "funeste journée" à "l’air électrique", débutant et prenant fin par un orage, le sort semble concentrer son ironie. Le temps, qui ouvre ses brèches, en fera effectivement sortir quelques-uns de l’enfance, de leur confort bourgeois ou carrément de la vie, plus d’une ambulance faisant entendre ses sirènes entre le lever et le coucher du soleil.
Avec son unité de temps et de lieu, ses intrigues entrecroisées, ses personnages arpentant le bitume et le béton à la recherche de leur destin, On aurait dit juillet fait par moments songer à La Grosse Femme d’à côté est enceinte dont l’action, qui nous introduisait dans plusieurs foyers du Plateau-Mont-Royal, s’étalait de la même façon sur une unique et chaude journée du mois de mai. Mais à la modernité carnavalesque de Tremblay succède chez Bilodeau une postmodernité plus intérieure, universelle et contemplative, même si les événements ne manquent pas dans ce quartier populaire où les gens sont bizarres "au moins une porte sur trois". Envahis de pressentiments, d’intuitions ou d’impressions de déjà-vu, ceux-ci accumulent les rendez-vous manqués, tandis que d’autres rencontres, imprévues celles-là, leur donnent une raison de vivre momentanée.
À l’étouffement des appartements, dérobant les secrets d’une intimité parfois douloureuse, l’écrivaine semble préférer les lieux publics (trottoir, hôtel, terminus, café-terrasse, théâtre, parking), là où vont se croiser les protagonistes des différents épisodes. Un statut particulier est de même accordé à certains personnages (une joggeuse, un photographe, un enfant qui vend du chocolat) qui servent de passeurs d’un univers à l’autre, leurs points de vue enrichissant la narration de tous les petits drames individuels. Le regard de ceux qui scrutent ainsi portes et fenêtres, traquent les odeurs et les sons dans cette "ville où tous les gens vivent comme chez eux", fait du livre de Josée Bilodeau un objet à la fois troublant et familier. Une sorte de lorgnette braquée sur nos fragiles existences contemporaines.
On aurait dit juillet
de Josée Bilodeau
Éd. Québec Amérique, 2008, 188 p.