Katherine Pancol : Éloge de la lenteur
Katherine Pancol offre à ses très nombreux lecteurs la suite des Yeux jaunes des crocodiles. Entretien avec une star qui se pince encore devant le succès.
Katherine Pancol est suivie depuis longtemps par un lectorat fidèle, qui goûte le mélange d’intelligence et de simplicité, de culture et d’attention aux petites choses qui guide son travail d’écriture. Les tirages de ses livres – elle publie aujourd’hui son treizième – ont toujours eu de quoi faire l’envie de bien des écrivains, mais ce n’est qu’avec Les Yeux jaunes des crocodiles, dont La Valse lente des tortues est la suite, que l’affaire a explosé. Avec un demi-million d’exemplaires vendus, tous formats confondus, Les yeux jaunes… a placé l’auteure française parmi les plus lues du moment.
À la lumière de ces chiffres, faut-il voir dans les nouvelles aventures de Joséphine une suite intéressée? Ce serait mal connaître celle qui, on le comprend vite en entrevue, est d’abord à l’écoute de ce qui bouillonne en elle: "D’habitude, ils partent, les personnages. J’y pense encore pendant deux ou trois mois, mais ils finissent par disparaître de mes pensées, vraiment. Cette fois, ils sont restés, extrêmement vivants; ils ont continué à faire partie de mon quotidien. Je devais les faire exister de nouveau." Arrive-t-elle à identifier les raisons de cette vitalité? "Je ne sais pas, sincèrement. C’est très mystérieux l’écriture. Plus j’écris, moins je sais en parler", admet celle qui dit entendre les histoires monter en elle comme une symphonie, dont elle se chargerait au mieux de la transcription.
Il ne faudrait pas croire cependant que le travail se fait tout seul. Cette journaliste de métier, si elle se consacre depuis longtemps à l’écriture de fiction, n’a rien perdu de ses méthodes de recherche et de son sens de l’observation. Si on croit à ce point dans son héroïne, romancière elle aussi que le soudain succès populaire ne protège pas du doute et de l’impression de faire "de la figuration dans [s]a propre vie", c’est que l’enveloppe respire fort la réalité, le vivant; que le Paris ou le Londres parcourus par ses personnages grouillent de ce qui anime vraiment les métropoles: une course effrénée à la reconnaissance, à l’argent, au bonheur coûte que coûte.
COMEDIE HUMAINE
La manière Pancol, c’est sûrement pour beaucoup la capacité à faire se côtoyer les grandes questions et les menus événements, les aspirations fondamentales et les tracas divers. "La vie c’est ça, non? Un mélange de choses très très futiles et de choses importantes. J’essaie d’arriver à entremêler tout ça dans un texte qui se déroule, qui nous fait continuellement osciller entre les deux."
On n’est pas trop étonné quand Katherine Pancol parle de ceux qui l’inspirent. "Il y a deux figures que j’aime par-dessus tout en littérature: Balzac et Colette. Colette, elle vous raconte le quotidien, celui d’un homme, d’une femme, d’un enfant, d’un chat, d’un chien, mais à travers leurs habitudes quotidiennes, vous pouvez presque toucher leur vie, vous l’entendez battre. C’est ce que j’ai envie de faire."
Par ailleurs, la romancière pourrait très bien revendiquer sa petite Comédie humaine à elle, sa galerie de personnages embrassant toutes les couches d’une société à la fois complexe et prévisible. Elle n’ira peut-être pas jusqu’à enrichir sa "comédie" de cent trente et quelques oeuvres, comme Balzac, ni à organiser mille ramifications entre elles, mais Katherine Pancol compte bien avancer encore longtemps sur les chemins de la création. "Je suis loin d’avoir écrit tout ce que je souhaite écrire, ça c’est sûr. J’ai la chance de pouvoir y mettre tout mon temps, de pouvoir voyager pour mener mes projets de romans; je suis très consciente de cette chance et je dois en profiter. Je toucherai peut-être au théâtre, aussi. J’ai deux projets dans ce sens. Le théâtre est l’art du dialogue, quelque chose que j’ai déjà beaucoup exploré, alors… Ce qu’il y a de bien, c’est que je ne sais pas exactement jusqu’où l’écriture va me mener. Ça me plaît ainsi."
La Valse lente des tortues
de Katherine Pancol
Éd. Albin Michel, 2008, 688 p.
LA VALSE LENTE DES TORTUES
À 43 ans, Joséphine Cortès avance dans la vie d’un pas toujours aussi hésitant. Cette dernière n’a jamais été simple pour elle, il faut dire, et à la vive blessure qu’elle porte depuis l’enfance, depuis ce jour où sa mère lui a clairement préféré Iris, son autre fille, s’ajoutent coups durs sur coups durs: elle vient d’apprendre que son mari, un aventurier patenté, a fini ses jours dans la gueule d’un crocodile au Kenya – mais est-il bien disparu, lui qui continue d’envoyer des cartes postales? -, sa soeur dépérit dans un institut psychiatrique, incapable de se montrer en public depuis que son subterfuge a été percé à jour – tout le monde sait maintenant que ce livre qui l’a rendue célèbre, ce n’est pas elle mais bien Joséphine qui l’a écrit -, puis il y a cet amant trop distant, ce beau-frère trop séduisant, ces événements violents qui secouent son quartier… Alors Joséphine se réfugie dans les petites joies, dans l’écriture, ou encore l’étude du 12e siècle, qui la fascine. La Valse lente des tortues, c’est près de 700 pages qui se lisent tout seul, quelque chose comme un très bon téléroman, rempli de bons sentiments mais aussi de questions crues sur l’existence, de réflexions accomplies sur la solitude et la nécessité de prendre le temps de vivre.
À lire si vous aimez /
Les Yeux jaunes des crocodiles de la même auteure, Armadillo et La Vie aux aguets de William Boyd