Michel Vézina : La vie après
Dans un nouveau roman intitulé La Machine à orgueil, Michel Vézina médite sur le sens à donner au suicide d’un être cher.
Alors qu’il vient d’atteindre l’âge de 40 ans, DJipi est confronté au suicide violent de Mado, sa meilleure amie depuis l’enfance, retrouvée pendue dans le garage de ses parents. Délaissant sa carrière de D.J. itinérant, il part s’enfermer dans un chalet des Appalaches dont l’état d’abandon semble un reflet de son âme meurtrie. Car DJipi est tout d’abord décidé à mettre fin à ses jours dans ce lieu délabré, encombré des souvenirs d’une famille dont il est l’unique survivant. "Normalement, j’étais venu ici pour mourir", dira-t-il.
Mais c’était sans compter la présence d’un voisin de son âge, le sédentaire Bob, "oublié miraculeux" qu’il surnommera l’Allumé et dont les visites, l’écoute généreuse et la sérénité d’ermite lui laissent entrevoir de nouvelles possibilités, la chance d’un recommencement. Une fois par semaine et durant tout l’hiver, DJipi se videra donc le coeur autour d’un joint partagé avec ce nouvel ami: sa vie d’exils et de voyages, rythmée par la musique punk et techno, les mensonges, les fuites, son sentiment d’échec, mais aussi de culpabilité face à cette Mado qu’il n’a jamais su aimer à cause de sa propre haine de soi: "Je n’ai été que de la poudre aux yeux. Je ne valais rien de mieux que les idées molles que l’alcool arrivait à éveiller dans mon esprit nul à mourir."
La Machine à orgueil de Michel Vézina (chroniqueur à l’hebdomadaire Ici et directeur des éditions Coups de tête) n’est pas sans nous rappeler Asphalte et Vodka, son premier roman paru en 2005. Road novel suivant le parcours de musiciens quittant la Floride pour la Gaspésie, ce livre offrait déjà un cocktail explosif de drogue, d’alcool et de musique, servi dans une langue corsée et sauvage. Une langue risquant de déranger les lecteurs attachés à leur petit confort et qui, dans La Machine à orgueil, ne manque pas de saluer quelques-uns de ses inspirateurs (VLB, Plume, Mistral…). Frayant avec l’oralité, l’écriture romanesque de Vézina donne ainsi lieu à certains passages hachés comme les jets d’une pensée vive et s’offrant à lire à la manière de vers libres. La facture trash du livre, revendiquée par l’écrivain et à laquelle cette langue participe, n’a étonnamment rien de complaisant (on retrouve d’ailleurs peu de violence ou de sexe chez Vézina), le tout fonctionnant en parfaite adéquation avec l’errance du narrateur.
Abordant le thème de la mort volontaire après avoir lui-même traversé plusieurs deuils par suicide, Michel Vézina ne propose pas d’élucider le geste de l’amie disparue ni de s’interroger sur ses motifs ("il n’y avait probablement aucun autre message dans son geste que celui de son immense désespoir, de son déséquilibre"). C’est plutôt la question inverse qui est posée du début à la fin du roman: pourquoi demeure-t-on en vie? Et aussi: quel sens donner, pour soi-même, au suicide d’un autre que l’on aimait?
Comme c’était le cas dans Asphalte et Vodka, La Machine à orgueil met en scène un personnage situé à un tournant de son existence, remettant en question ses choix passés et assumant peu à peu ses racines. Évitant une conclusion facile où le nomade jusque-là sans adresse se fixerait enfin sur sa terre, Vézina a préféré un dénouement ouvert au terme de l’année de ressourcement de son héros, appelé par de nouveaux départs et par la possibilité d’un nouvel amour…
La Machine à orgueil
de Michel Vézina
Éd. Québec Amérique, 2008, 212 p.