Anna Gavalda : Revenir d’entre les morts
Quatre ans après Ensemble, c’est tout, récemment porté à l’écran par Claude Berri, Anna Gavalda publie La Consolante, 600 pages infiniment gavaldiennes, avec ce que cela veut dire de pire et surtout de meilleur. Entretien avec un phénomène de l’édition contemporaine.
Ils sont des millions à travers la francophonie et le monde à avoir rêvé, avec elle, que quelqu’un les attende quelque part, à avoir conjugué l’amour à tous les temps et à avoir dit, malgré les aléas du coeur, "ensemble, c’est tout".
Anna Gavalda, auteure française dans la trentaine, a déjà des continents de lecteurs à ses pieds, mais refuse obstinément de jouer les cartes de la célébrité, leur préférant celles d’une création sans compromis, sans interférences. Dernier fruit en date? La Consolante, dont le titre, emprunté au monde de la pétanque, désigne cette partie amicale que l’on fait en fin de tournoi, alors qu’il n’y a plus rien en jeu, donc rien à gagner ni à perdre.
Alors que paraît au Québec ce livre-événement, la très discrète écrivaine a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.
Voir: Ce personnage de Charles, architecte brillant mais usé par la vie, de quelle manière vous est-il apparu? Les personnages naissent-ils toujours de la même façon chez vous?
Anna Gavalda: "C’est bien de ce Charles qu’il s’agit pendant 600 pages, mais en réalité, il n’est pas très important. Le vrai sujet, ce sont les deux femmes qui le hantent. La vivante et la morte. Ce sont elles qui sont apparues les premières, et ensuite, j’ai cherché un narrateur qui soit "à leur hauteur". Qui puisse les raconter et les servir le plus fidèlement possible. Je ne sais pas comment tout cela naît. Je me raconte des histoires sans arrêt et un jour, certains personnages insistent et reviennent, alors je les garde un peu plus longtemps…"
On sait votre souci du détail, la phase de préparation qui entre dans la création de vos personnages. Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans le cas de ce Charles? Ou d’un autre personnage de La Consolante?
"En plus d’être un architecte, Charles est un ingénieur extrêmement brillant, et moi je ne sais toujours pas calculer le périmètre d’un carré, donc oui, j’ai un peu travaillé… J’ai même travaillé comme un chien! Mais j’ai tout fait pour que cela ne se sente pas. Le propos de ce roman n’était pas sa carrière mais, au contraire, tout ce qu’il essaie de planquer derrière cette belle carrière. Autrement dit, j’ai beaucoup progressé en architecture pour le faire régresser. (Suis-je claire?)"
On dit ce livre plus grave que les précédents. C’était une intention précise de votre part? Le résultat vous a-t-il étonnée vous-même?
"Je n’ai jamais d’intention précise quand je me lance dans une histoire, sauf celle de connaître la suite. Il me semble que je me lis moi-même autant que j’écris… Et je n’ai pas encore réfléchi au "résultat". Si j’étais capable de réfléchir, j’aurais compris que c’est la longueur d’un côté multipliée par quatre depuis le temps!!"
La Consolante
d’Anna Gavalda
Éd. Le Dilettante, 2008, 640 p.
LA CONSOLANTE
Ce qui compte, quand on ouvre un Gavalda, c’est d’être disposé à ne pas bouder son plaisir. On pourra voir un bout de ficelle par-ci, un tic par-là, ou encore ces damnés bons sentiments déployer toute leur ruse pour se faire littérature, n’en reste pas moins que la fête est là, irrésistible, pyrotechnique, même quand l’histoire nous mène – ce qui est souvent le cas ici – dans le registre du grave. Fête du langage, de l’émotion, de la vie avec un v minuscule ou majuscule, c’est selon.
Des six livres d’Anna Gavalda parus à ce jour (en incluant 35 kilos d’espoir, un titre jeunesse), La Consolante est certainement celui qui se laisse le moins vite apprivoiser. Fort long – trop? -, le roman suit la trajectoire brisée de Charles, un architecte primé, prospère et tout, mais qu’un passé flamboyant comme douloureux va soudain rattraper. En apprenant la mort d’Anouk, la mère de son meilleur ami d’enfance et responsable des jours les plus lumineux de sa jeunesse, Charles perd pied. Conjugué à son présent conjugal qui prend l’eau, ce passé va jeter du sable dans le fragile engrenage de sa vie. "Tu es là, à te vautrer dans le passé comme un cochon dans sa soue alors que c’est le présent qui devrait t’accabler. C’est le présent qui déraille, mon gars. Est-ce que tu réalises que ta femme est dans les bras d’un autre pendant que tu pleurniches en culotte courte?"
Malgré le côté parfois mélo de sa chute, on s’attache au personnage, et on veut mieux discerner le visage de celle qui l’a tant marqué, comme de cette autre qui surgit en cours de route, Kate, elle aussi habile à répandre autour d’elle des traînées de lumière.
On s’attache surtout au ton, à ce texte plein d’audaces, dont l’une au moins, il est vrai, agace à la longue: en supprimant fréquemment les pronoms devant les verbes ("Se racla la gorge, laissa passer quelques secondes…"), Anna Gavalda a fait un pari qui ne rapporte pas beaucoup, l’effet s’usant rapidement. L’ensemble a par ailleurs un petit côté brouillon qui n’est pas sans charme. Même qu’on a parfois l’impression d’avoir sous les yeux le cahier de notes de la romancière.
Un nouveau Gavalda plein de cavités et d’imperfections, donc, mais une fois encore, l’art de la mise en scène et cette vie qui crie si fort entre les lignes nous mènent par le bout du nez jusqu’à la dernière page.