Jacques Lacoursière : Les années-lumière
L’historien Jacques Lacoursière jette son regard à lui sur la décennie durant laquelle s’est défini, pour une bonne part, le visage du Québec moderne. Entretien avec un vulgarisateur de génie.
On connaît le rare talent de Jacques Lacoursière pour faire de l’histoire quelque chose d’à la fois substantiel, sérieux et vivant, souvent divertissant, comme-si-on-y-était. L’historien préféré des Québécois a dû puiser, cette fois, loin dans ses ressources pour concrétiser le tome 5 de son Histoire populaire du Québec: la décennie qu’il met en relief, celle des années 1960 à 1970, on n’y touche pas sans enfiler des gants… Légendaires années 60, où les projets politiques se précisent, où la culture d’ici bouillonne si fort, où la société bouge à la vitesse grand V, et qui font aujourd’hui l’objet d’une nostalgie parfois excessive.
"C’est vrai, confirme Jacques Lacoursière, et de toute façon, plus on se rapproche du présent, plus ça devient difficile. Pour deux raisons: il y a ceux qui vivent toujours, d’abord, et qui ont chacun leur version des faits – en tant qu’historien, les survivants, moi, je me méfie d’eux plus que des morts! Un exemple: quand j’ai travaillé à la minisérie Duplessis, il y a une trentaine d’années, j’ai rencontré un type qui m’a décrit dans le menu détail la naissance de l’Union nationale en 1935, à l’hôtel Windsor, mais j’ai pu vérifier par la suite qu’il n’était pas là! Avec le temps, il s’était convaincu qu’il y était. C’est assez fréquent, ce phénomène, d’ailleurs. D’autre part, pour en revenir à la question, j’ai moi aussi vécu tous ces événements, alors je dois prendre une distance", explique celui qui a lui-même écrit dans des journaux indépendantistes, à l’époque. "J’ajouterais que les renseignements sont de plus en plus nombreux: articles, émissions de radio, de télé, mémoires… De sorte qu’on est facilement noyé dans des éléments de documentation souvent contradictoires!"
Malgré les difficultés inhérentes au projet, l’auteur a pris un plaisir fou à plonger dans les artefacts d’une période charnière, foisonnante. "C’est certainement, dans l’histoire du 20e siècle, la décennie où les événements se bousculent le plus, dans tous les domaines. Domaines politique, économique, culturel bien sûr, religieux… Sans compter que la vie quotidienne change elle aussi, avec les moyens de communication qui se raffinent, les incessants progrès techniques… Tout ça m’intéresse beaucoup", souligne-t-il, toujours soucieux d’éclairer la grande histoire à partir de la petite.
Histoire populaire du Québec, tome 5 (1960 à 1970)
de Jacques Lacoursière
Éd. du Septentrion, 2008, 458 p.