Louise Desjardins : Dommages collatéraux
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Louise Desjardins : Dommages collatéraux

Dans son dernier roman, Louise Desjardins livre un navrant constat du militantisme de gauche des années 70 dont certains partisans se sont révélés, en privé, de bien piètres parents.

Dès les premières pages du nouveau roman de Louise Desjardins, on est frappé par la violence des propos d’Alex, 14 ans, qui, dans un échange de courriels avec une jeune voisine, exprime son fantasme de voir disparaître sa mère. On se dit d’abord qu’un adolescent est par définition un ingrat et un révolté, puis on découvre au fil du texte les raisons profondes de ce sentiment de colère, né de l’incompétence de toute une famille qui n’est jamais parvenue à cultiver l’amour des siens. Aux confidences d’Alex succéderont en effet celles de sa mère, Angèle, avouant déployer de pénibles efforts pour s’intéresser à un enfant envers lequel elle n’éprouve aucun attachement. Vivant de l’autre côté de la rue, la mère d’Angèle, Anita, n’est guère plus tendre envers sa fille, se plaisant à lui rappeler ses échecs personnels et professionnels sans mettre de gants blancs.

Et pourtant, tout ce beau monde dysfonctionnel et scolarisé s’intéresse de près à la situation internationale, à chaque conflit frappant la planète, "prenant parti pour les perdants, ceux qui en bavent, qui n’ont pour arme que leur corps". Tandis qu’Anita et son défunt mari se sont longtemps impliqués dans les mouvements d’inspiration marxiste-léniniste, Angèle lit Le Devoir, entretient une correspondance électronique avec une assiégée de la bande de Gaza, rêve coopération internationale et aide humanitaire. Or, dans un contexte familial où "les parents tenaient à être copain-copain avec leurs enfants" et où les mots "papa" et "maman" étaient proscrits, "les couches de silence se sont accumulées au fil des ans". Ainsi, lorsque Angèle pénètre dans la maison paternelle, "une odeur d’enfance lui arrive, tendre et dure comme son père, comme sa mère, ces militants de la première heure, plus généreux envers la cause qu’envers les leurs, se permettant toutes les libertés sous prétexte que la révolution permet tout, l’échangisme, l’adultère, l’abandon d’enfants".

Autre trait de ces générations abreuvées à la bonne parole de Mao, de Fidel et du Che: cette authenticité, qui nous fait dire tout ce que l’on pense sans égard aux conséquences traumatiques que nos paroles pourraient avoir. Devant Alex, réfugié dans le mutisme de ses jeux vidéo et qui s’arrache les cils, rien n’empêche par exemple Angèle et sa mère de discuter de son problème de santé mentale, spéculant à haute voix sur les diagnostics possibles. De même, Angèle résume tout bonnement à son fils les conseils que lui a donnés le travailleur social pour intervenir auprès de lui plutôt que de les appliquer patiemment au quotidien. Pendant ce temps, le sujet qui préoccupe le plus Alex reste tabou, sa mère gardant secrète l’identité de son père.

Après La Love, Darling et So long qui, coup sur coup, ont confirmé son immense talent de romancière, Le Fils du Che n’est peut-être pas l’oeuvre la mieux réussie de Louise Desjardins (les dialogues, notamment, trop figés, ont l’air d’hésiter entre les niveaux de langue). Cela dit, l’écrivaine réussit à créer une véritable matière romanesque à partir d’un sujet hautement explosif, et ce, sans le présenter de façon didactique. Multipliant les points de vue et évitant de faire la morale, Le Fils du Che a le mérite de laisser au lecteur sa part de travail, la liberté de poursuivre sa réflexion ou de dégager lui-même les conclusions qui s’imposent.

Le Fils du Che
de Louise Desjardins
Éd. du Boréal, 2008, 176 p.

Le Fils du Che
Le Fils du Che
Louise Desjardins
Boréal