Nicole Brossard : Être bien dans la langue
"Être dans la langue", voilà ce qui décrit le mieux le travail de Nicole Brossard, poète, romancière et essayiste, cofondatrice de la revue La Barre du jour (1965-75), mais surtout découvreuse de matière, voix forte parmi les voix des grandes explorations.
Or, écrire sur Nicole Brossard a quelque chose d’intimidant. Écrire sur les grands ne demande pas de touche particulière, non, mais dans le respect, la filiation et l’admiration la plus affirmée, écrire prend un sens manifeste, forcément.
Féministe engagée, théoricienne lumineuse, à l’opposé du statu quo, redéfinissant la pratique du langage, la signification, le genre et la sexualité; le tout dans un travail initiatique dont l’effort de re-signification n’a d’égal que la beauté sensuelle de l’oeuvre dont les formes rappellent à tout moment celles des corps qui l’habitent, des voix aussi surtout, cette auteure d’une somme de la modernité nous enseigne encore, de par son geste, de par les livres qui se suivent, dans un travail quasi artisanal de l’écriture poétique (car poésie il y a, partout, confondant tous les genres), ce qu’est la littérature confrontée au temps, aux mots, aux êtres et aux choses.
REDECOUVRIR LE MONDE, LE SENS, LES MOTS
Écrire. Voilà sûrement ce qui résumerait le mieux, maintenant, en un mot, le travail nécessaire de Nicole Brossard. Écrire, tout simplement. Et c’est là justement le sujet du dixième roman de la poète, La Capture du sombre, où, quelque part en Suisse, dans le château de Tatiana Beaujeu Lehman – collectionneuse de montres, mais adversaire du temps -, Anne, une éditrice retraitée, décide d’écrire son premier roman, et ce, dans une langue qui n’est pas la sienne: "J’écris aussi ce livre pour ne pas être douce et pour voir venir l’horizon des incendies."
La beauté du roman tient surtout dans sa capacité à faire vivre, respirer, à la manière beckettienne peut-être, la narratrice et ses personnages au sein de mêmes lieux, de mêmes mots, en une grande envolée au lyrisme contenu, admirable – mais sans jamais se détourner de ses manques, de ses inquiétudes, de ses guerres et de ses tendresses -, dans une langue qui est bien, cette fois, cette langue brossardienne, toute faite d’étonnements et de belles inventions. Rares sont les romans de cette qualité et de cette virtuosité sachant nous faire dire que la beauté des livres, peut-être, en vient à dépasser la beauté du monde.
LIBERTE A L’AUBE
Alors la poésie. Puisque omniprésente dans l’oeuvre de Nicole Brossard, il en est bien question. Récemment publiée chez Typo, donc maintenant des plus accessibles, en somme, un choix, une rétrospective de l’oeuvre poétique de l’auteure du Centre blanc. Allez-y voir: la poésie de Nicole Brossard reste un incontournable pour qui désire comprendre les mouvances littéraires de près d’un demi-siècle au Québec; la fondation d’une littérature nouvelle, libérée de ses cangues. Allez-y voir pour l’énergie, la présence et la langue, toujours belle, dans ses ruptures et ses éclatements, dans ses formes les plus pures: Suite logique, La Partie pour le tout, Amantes, Musée de l’os et de l’eau, Je m’en vais à Trieste. Allez-y voir, c’est tout.
La Capture du sombre
de Nicole Brossard
Éd. Leméac, 2007, 144 p.
D’aube et de civilisation
anthologie préparée par Louise Dupré
Éd. Typo, 2008, 448 p.