Sibyllines, un parcours pluriel et Blanchie : Chemin parcouru
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Sibyllines, un parcours pluriel et Blanchie : Chemin parcouru

La metteure en scène Brigitte Haentjens est associée ces jours-ci à la parution de deux ouvrages: un livre anniversaire, Sibyllines, un parcours pluriel, et un récit, Blanchie.

En 1997, après des études à Paris, un fructueux séjour en Ontario et quelques années à la direction artistique de la Nouvelle Compagnie Théâtrale, Brigitte Haentjens fonde Sibyllines pour approfondir sa démarche dans une plus grande liberté. Sous cette bannière, au cours des dix dernières années, la créatrice a mis en scène les oeuvres de Koltès, Bachmann, Müller, Duras, Plath, Dupré, Woolf et Kane. Publié sous la direction de Stéphane Lépine, conseiller dramaturgique auprès de Haentjens depuis 1996, Sibyllines, un parcours pluriel est un ouvrage accessible, essentiellement photographique, une entrée en beauté dans un répertoire conséquent, celui d’une artiste qui a toujours refusé les compromis.

Pour rendre compte du chemin parcouru, Lépine a choisi de brosser le portrait de plusieurs des créateurs de haut vol dont Haentjens a su s’entourer au fil des ans. Il y a les acteurs: Hyndman, Béland, Drapeau, Cadieux et Bonnier, mais aussi les concepteurs: Charland, Barsetti, La Bissonnière et Normandeau. Chaque page est un hommage senti et nécessaire. Mais le plus intéressant, ce sont les échanges entre la metteure en scène et l’intellectuel, les efforts que fournit ce dernier pour circonscrire la force vive de l’artiste, sa rigueur et son besoin viscéral de créer.

UNE ÉCRIVAINE

Brigitte Haentjens est ce qu’il est convenu d’appeler une écrivaine scénique. Cela ne fait pas de doute. Mais ne serait-elle pas purement et simplement une écrivaine? Disons qu’en refermant Blanchie, on est tenté de le croire. Le livre rude et caressant qu’elle dévoile ces jours-ci est son deuxième après D’éclats de peines, un recueil de poésie paru en 1991.

Livré dans une prose souple, affranchie de toute ponctuation, une langue qui va droit à l’essentiel, le "récit troué", ainsi que son auteure le nomme, a de l’ampleur et de l’élan. Truffé d’images fortes, parcouru de fantômes, il n’est pas sans rappeler La Convention de Suzanne Lamy ou encore, pour la facture, les superbes livres photo d’André Martin. Sur les pages sont judicieusement disposés le blanc et le noir, les sons et les silences. Sous nos yeux se dessine l’empreinte d’un cri étouffé. En gras, en italique, entre parenthèses, engagés dans un puissant dialogue avec l’image (superbes photos d’Angelo Barsetti), les mots nous vont droit au coeur.

La narratrice est photographe à Paris. Depuis la mort accidentelle de son jeune frère, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle écrit que le chagrin est "une drogue dure", qu’il "isole plus sûrement qu’une maladie contagieuse". Là où elle est, totalement investie dans une conversation avec l’absent, happée par un deuil douloureux, rien ne peut vraiment l’atteindre. L’artiste, la femme, la soeur, la fille, l’amante et l’amoureuse, toutes elles sont "blanchies", insensibilisées, terriblement incapables de renouer avec ce qui fut la vie.

Pour traduire la détresse de son personnage, Haentjens choisit judicieusement chaque mot. Plutôt que de nommer, elle sème les gouffres comme d’autres les murs, elle confine son lecteur au vertige. Ici, la force et la faiblesse, le caractère et la lâcheté, la création et la destruction, la lucidité et l’aveuglement marchent résolument main dans la main. "Je me débats dans le quotidien / Comme quelqu’un qui a peur de l’eau / Et qu’on force à nager / J’avance en titubant / Un crabe sur le sable gris".

Sibyllines, un parcours pluriel
sous la direction de Stéphane Lépine
Éd. Les 400 coups, 2008, 152 p.

Blanchie
de Brigitte Haentjens
Éd. Prise de parole, 2008, 263 p.

Sibyllines, un parcours pluriel:
Blanchie: