Jacques Côté : Les brumes du Lac
Avec Le Chemin des brumes, Jacques Côté, sur les traces de Daniel Duval, fouille les recoins les plus sombres de l’âme humaine. Là où les brumes ne se dissipent jamais véritablement.
À peine descendus d’avion, après avoir dignement représenté le Québec aux Jeux mondiaux des policiers à Mexico, Daniel Duval et son bouillant collègue Louis Harel en auront plein les bras avec une affaire de disparition. Partis pour une aventure de camping, un grand-père et ses deux petits-fils manquent à l’appel. Une histoire particulièrement sordide qui laissera des stigmates indélébiles.
C’est dans le décor forestier du Lac-Saint-Jean que se produiront les pires tragédies, parmi les brumes glauques et les angoisses millénaires qui peuplent les forêts la nuit. Pendant ce temps, à Québec, loin des frissons d’une poursuite sylvestre effrénée et sanguinaire, le lieutenant Duval verra ses nuits écourtées par son rôle de nouveau papa et l’urgence d’élucider cette disparition…
L’ARBRE ET LA FORET
Et si les arguments vantant la région du Lac-Saint-Jean, de proximité de la nature et de vastitude, devenaient source d’angoisse? Cette réflexion pourrait être l’inspiration du dernier roman de Jacques Côté, Le Chemin des brumes. Toutefois, en campant son intrigue dans une forêt du Lac-Saint-Jean, Côté se lançait de nombreux défis. Rien ne ressemble plus à un arbre qu’un autre, dit-on. Pas de quoi fournir l’inspiration nécessaire pour une petite brique de près de 400 pages…
Et pourtant, l’auteur voyait en ce lieu une multitude de possibilités. "La forêt est un facteur d’anxiété et d’angoisse pour bien des gens. Même moi qui aime beaucoup la forêt, je sais que je pourrais avoir très peur dans le bois. Dans notre inconscient, la forêt est liée à de vieilles peurs. Se perdre, être loin de la route et de toute civilisation, être traqué… Il se crée une ambiance avec la brume, la pluie, la grisaille… Ça vient ajouter au décor, d’une certaine manière. Je n’invente rien, ce sont des procédés qui ont été utilisés souvent comme décor, mais ça vient ajouter au poids de l’angoisse du personnage."
De l’aveu même de Côté, le défi le plus important aura été de faire évoluer le tout dans un décor jeannois sans tomber dans la caricature, et sans transformer le récit en carte postale littéraire. "Je ne suis pas un spécialiste du Lac-Saint-Jean. Ce n’est pas une promotion touristique de la région, mais j’avais envie d’en parler. J’ai été inspiré par un ami de pêche originaire du Lac, qui a conservé quelques expressions dans son vocabulaire… Il m’a dit: "Ton personnage de Jérémie Harvey, c’est vraiment un gars du Lac. Tu nous a bien saisis, je me suis reconnu en lui." Je n’en ai pas fait une caricature non plus. C’est pas un Jean la-la Tremblay que tu vois à Infoman."
Les prochains romans de la série pourraient d’ailleurs garder un petit quelque chose du Lac-Saint-Jean. Comme si l’exode faisait partie du décor, il semble que le lieutenant Harvey, originaire de la région, avec lequel Duval a été amené à travailler au cours de l’enquête, sera invité à joindre les rangs de l’équipe de Québec. "Les gens du Lac n’aimeront peut-être pas ça, mais c’est clair et net que je le fais déménager. On s’attache à lui… Et les lecteurs l’apprécient."
LES OISEAUX SE CACHENT…
Comme ce fut le cas pour les autres livres de la série, Le Chemin des brumes a demandé à l’auteur un solide travail de recherche, entre autres auprès de la Commission de toponymie du Québec. Parce que l’auteur est un véritable faussaire, hameçonnant régulièrement le lecteur par des références au réel en particulier avec des données factuelles comme la mention de vedettes de la radio québécoise (Louis Champagne, Robert Gillette) et de certains lieux – dont le village fantôme de Val-Jalbert, particulièrement important dans le récit… Du côté de Duval, une grève du zèle suit son cours pendant toute la durée du roman, à l’image de ce qui s’est produit à l’époque. La tâche du policier ne sera d’ailleurs pas facilitée par les tensions syndicales…
Évoluant en période post-référendaire, même si cette réalité est moins présente que dans Les Rives noires, le récit laisse sourdre encore à l’occasion certaines tensions chez les personnages de Côté. "Je ne fais pas de politique à travers ces livres-là, mais je veux montrer qu’avant, on en parlait de politique. C’était la réalité de l’époque. On n’était pas gênés dans ces années-là de s’afficher, que ce soit fédéraliste ou indépendantiste. Aujourd’hui, les indépendantistes se sont cachés. On les voit beaucoup moins. Il y a cette impression de danger, qu’on peut nuire à sa carrière, alors on n’en parle pas… Moi, je ne suis pas carriériste."
L’auteur ne cache pas qu’il profite du contexte sociopolitique des années 80 pour aborder des thèmes qui pour lui résonnent encore dans l’actualité. "Le fait de situer mes romans dans ces années-là ne m’empêche pas de faire des échos à la situation actuelle. Le Québec tourne en rond. C’est ce que je constate en lisant les journaux des années 80. On recule, on fait un pas, on recule… Sur les plans politique, national, linguistique, environnemental… On reprend toujours les mêmes débats."
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