Pierre Morency : Oiseau de feu
Après un silence de quelques années, Pierre Morency nous offre un recueil dont le titre est déjà un poème: Amouraska.
Ouvrir un Pierre Morency, c’est chaque fois la promesse d’une intense plongée dans ce que la nature a de plus secret, de mieux gardé, mais aussi de plus fulgurant. La nature humaine comme la nature sauvage, faut-il préciser, l’écrivain arpentant aussi bien la face cachée de l’homme et de la femme que les sentiers de la forêt québécoise et les berges du Saint-Laurent, dont il est devenu, au fil de ses écrits, le complice intime.
Ceux, nombreux, qui ont aimé les «histoires naturelles» de l’auteur (L’OEil américain, Lumière des oiseaux, La Vie entière, parus chez Boréal entre 1989 et 1996) retrouveront ici l’attentive lecture qu’il sait faire de notre faune et notre flore, du printemps comme de l’automne «en sa nappe de feu»; ceux qui suivent le poète des Paroles qui marchent dans la nuit (Boréal, 1994) renoueront avec l’acuité de ses propos sur l’écriture, l’amour qui dure ou notre apprentissage des départs et de la mort, comblés par la justesse d’un art ici particulièrement économe. Dans la première partie du livre à tout le moins, «Où vivre?», suite de 27 quatrains d’une élégance toute classique. Morency s’interroge: comment avancer à deux dans l’espace et le temps, vers «l’île aux chants sereins»? Comment faire naître dans nos vies un peu de clarté? «Vie passante par-delà fleuves et pays. / Vie brûlante: l’oiseau naît de sa propre flamme.»
Viennent les parties «Chant de gorge», où l’esprit et le corps se tendent de concert pour arriver à être, simplement, «au milieu de ce qu’il y a», puis «Respects du soir», série d’hommages à des créateurs et amis: Roland Giguère, Jean-Guy Pilon, Frédéric Jacques Temple. Particulièrement convaincant, le poète nous y engage à faire mûrir, «en nos coffres de mémoire», ce que ces derniers ont inventé en ce monde.
Enfin, la section qui donne son titre au recueil, «Amouraska», nous surprend par quelques détours en prose – dont Je ne t’en conte pas, touchant poème sur la guerre -, nous déçoit un peu avec l’assez facile Chez le Bonheur («Hier j’ai frappé à la porte du Bonheur. / L’ai entendu marcher dans la maison, / Il a écarté les rideaux et puis il a ouvert. / Bonjour. Je vous dérange?») et nous laisse avec entre les mains un troublant Guide de survie, au son d’une «ferraille énorme qui roule l’abominable neige des hommes».
S’il y frôle à l’occasion la frontière dangereuse du joli, Amouraska demeure, et sans conteste, l’oeuvre d’un de nos plus habiles artisans du verbe, de ceux qui parviennent à nourrir en profondeur notre regard sur le monde.
Amouraska
de Pierre Morency
Éd. du Boréal, 2008, 98 p.
À lire si vous aimez /
Le cycle «Histoires naturelles du Nouveau Monde» du même auteur, Champagne de Monique Proulx