Guillaume Corbeil : Info ou intox?
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Guillaume Corbeil : Info ou intox?

Guillaume Corbeil, maître de cérémonie d’un cirque étrange, n’hésite pas à frotter le vrai et le faux, le dit et le non-dit. Une bien belle entrée en matière.

"L’homme leva la tête et regarda en direction de l’automobile, et il s’émut de voir à quel point elle était neuve. Sa carrosserie brillait. Il se dit qu’il était sûrement la première personne à être frappée par elle. Qu’elle était si neuve, en fait, que c’était peut-être même la première chose qu’elle faisait, cette automobile. Comme si on ne l’avait fabriquée que pour ça. Le frapper, lui."

Bienvenue dans l’univers de Guillaume Corbeil. Univers du dérapage contrôlé, du ludique souverain, de l’élégance grinçante. L’Art de la fugue, premier livre de l’auteur, c’est six nouvelles défiant sans cesse les règles de la réalité. On ne pourra se fier à rien, ici: quand un pauvre type qui n’y voit goutte, un déluge s’abattant sur lui, aperçoit le taxi qu’il avait appelé lui passer sous le nez, tout nous laisse croire qu’il va rester planté là encore une éternité, aveugle et démuni; or, rien n’exclut qu’un prochain segment, une prochaine de ces "variations" qui découpent le recueil, nous apprenne que le chauffeur l’a finalement aperçu dans la lunette arrière, son client, et que la course peut commencer. Quant à ladite course, eh bien, rien n’empêche qu’elle se termine dans la stratosphère, les lois de la gravité s’appliquant bien peu à ces histoires réjouissantes d’audace, entre les lignes desquelles on entreverra plus d’une fois García Márquez.

Les personnages de Corbeil vivent très fort la tentation de disparaître, conscients de l’impossibilité de devenir jamais "complets", telle cette mariée qui déraille complètement peu après avoir dit "oui, je le veux", et qu’habitera soudain une idée fixe: se jeter du haut d’un pont ("Elles détestaient Madrid"). Mais la fin du trajet n’est jamais là où on la supposait, dans ce festival de petits mensonges prenant des airs de grandes vérités, de retournements de sens et de fausses pistes délicieuses.

Le jeune auteur, il est vrai, semble parfois emprisonné dans sa proposition, comme dans ce texte au titre spectaculaire, "Annexe à la Genèse", autour d’une chambre d’hôpital qui "n’existe pas". Nouvelle très cérébrale, proche de l’exercice de style, malgré la belle idée sous-jacente, celle d’une écriture capable de fixer l’évanescent, de conférer une réalité à ce dont les contours nous échappent. Or il fait souvent mouche, avec "L’OEil droit du cyclope" entre autres, gros plan sur cette ville où McDister, un shérif omnipotent, gestionnaire d’un ordre de l’exactitude, ordonne à toutes les femmes enceintes d’avorter chaque fois que quelque chose d’inexact se produit, un train arrivé en gare un peu en retard, par exemple… Ici et ailleurs, la pure fantaisie de la langue est domptée par un talent réel pour l’organisation des matériaux littéraires. Le cerveau droit travaillant de pair avec le gauche, autrement dit.

L’une des très belles découvertes de la saison.

L’Art de la fugue
de Guillaume Corbeil
Éd. L’instant même, 2008, 148 p.

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L'Art de la fugue
L’Art de la fugue
Guillaume Corbeil
L’instant même