Katia Belkhodja : Le goût des autres
Montréalaise d’origine algérienne, Katia Belkhodja signe un premier roman poétique et sensuel: La Peau des doigts. Hommage au plaisir amoureux où cohabitent les accents kabyle, parisien et québécois.
À une époque où la sexualité s’expose sans mystère, il y a quelque chose d’absolument rafraîchissant dans ce roman écrit par une jeune femme de vingt et un ans, consacré à la découverte juvénile de l’amour et du désir. Hommage à la peau, à toutes les peaux, à leur texture et à leur goût, mais également au baiser, acte suprême qui revient littéralement à "assimiler" l’autre puisqu’on dit que "la salive d’un baiser, elle nous reste, sept ans, dans le corps". Dès la première page de La Peau des doigts, la narratrice décrit ainsi le plaisir obsédant d’un baiser échangé sur l’esplanade de la Place des Arts avec une jeune fille, Doña, dont le prénom est répété de manière lancinante. Somptueux paragraphe d’ouverture qui donne envie de poursuivre le voyage.
Succédera le souvenir des lèvres d’un homme, le peintre Fril, rencontré dans le métro de Montréal et que la narratrice a suivi à Paris, lui et son frère jumeau Gan, dans le but d’apercevoir Marguerite Yourcenar à la sortie de l’Académie française, ignorant que la grande écrivaine était déjà morte et enterrée dans le Maine. Car l’amour est aussi affaire d’affinités et de littérature chez Katia Belkhodja, qui entamait un baccalauréat en lettres françaises au moment de la composition de son roman. Raison pour laquelle, à n’en pas douter, La Peau des doigts fourmille de références et d’allusions littéraires. Sans avoir l’air plaquées, celles-ci permettent de mesurer les influences de l’auteure.
Un bouquet de personnages secondaires habite également ce livre aux images fortes, où s’entrechoquent les époques et les lieux qui couvrent les trois continents correspondant aux étapes de la migration familiale: Afrique, Europe, Amérique… En plus des pérégrinations de la narratrice dans les métros de Montréal et de Paris, on suivra donc en parallèle celles de sa grand-mère kabyle "aux tendresses animales", abandonnée tour à tour par les deux hommes de sa vie, chaque fois après avoir été mise enceinte, dans des contrées différentes. Quant à la cousine Celia, elle ne cesse de pleurer la mort de sa mère, tout en faisant des crêpes contre lesquelles elle se brûle la peau des doigts…
Porté par une écriture syncopée, flirtant avec l’oralité et soutenue par toute une gamme de répétitions poétiques, le roman de Katia Belkhodja séduit avec ses belles figures d’apatrides qui reconstituent l’histoire de leurs origines à partir de leurs déplacements géographiques et de leurs rencontres amoureuses. La nouvelle plume à la fois sensible et exigeante qui s’y déploie est celle d’une authentique écrivaine.
La Peau des doigts
de Katia Belkhodja
XYZ éditeur, 2008, 98 p.