Emmanuel Guibert : Correspondant de guerre
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Emmanuel Guibert : Correspondant de guerre

Après une pause de six ans, Emmanuel Guibert livre l’ultime tome de La Guerre d’Alan, sa magnifique trilogie consacrée aux souvenirs militaires de son ami Alan Ingram Cope.

Créateur de bandes dessinées parmi les plus novatrices de la décennie, Emmanuel Guibert a choisi d’embrasser le genre biographique au service des autres, s’opposant en cela à plusieurs de ses collègues pour qui l’autofiction demeure un terrain de prédilection. Dans Le Photographe, trilogie où s’entremêlaient avec bonheur vignettes et clichés photographiques, l’artiste français s’intéressait ainsi au périple de son ami Didier Lefèvre qui avait accompagné Médecins Sans Frontières en Afghanistan durant la guerre entre Soviétiques et moudjahidines. C’est pour réaliser cette oeuvre expérimentale qui repoussait les limites de son médium, que Guibert avait interrompu La Guerre d’Alan dont le deuxième tome est paru en 2002.

À l’instar du Photographe, La Guerre d’Alan se présente comme un travail sur la mémoire, le temps et l’amitié. Le conflit armé qui sert de toile de fond au récit n’apparaît finalement que comme un prétexte, l’aspect anecdotique permettant au lecteur d’accéder à l’universel. Si sa facture est plus sobre (par l’absence de couleurs notamment), cette bande dessinée qui fait revivre les expériences d’un soldat américain durant la Seconde Guerre mondiale est dotée d’une puissance d’évocation incroyable. Après un premier tome qui racontait l’entraînement militaire du jeune Californien dans une base du Kentucky et un deuxième illustrant sa traversée d’une Europe en ruines où il arrive tardivement en février 1945, le volume final, lui, est consacré à l’immédiat après-guerre. Le jeune homme, frappé par le drame humain qui se déploie sous ses yeux et déçu par un bref retour aux États-Unis, s’installe définitivement en Europe, au service de l’unité civile de l’armée américaine.

Même si Guibert a procédé pour la première fois à un travail de repérage en se rendant sur les lieux de son histoire, cet album n’offre pas vraiment de rupture graphique avec les deux premiers. Il s’agit toutefois du meilleur opus de la série par l’effet du passage du temps qui y est rendu et par son caractère davantage introspectif, le sujet vieillissant se permettant d’avouer certaines erreurs et parvenant à se bâtir "un embryon de conscience". Récemment décédé, Alan Ingram Cope avait soixante-neuf ans lorsqu’il s’est lié d’amitié avec Emmanuel Guibert, de quarante années son cadet. L’ancien soldat racontait alors ses souvenirs au jeune bédéiste qui les enregistrait en prévision de son livre. Opportunité unique offerte à un homme qui trouva la force de donner un sens à ses expériences au crépuscule de sa vie, cette oeuvre se donne ainsi à lire comme une véritable bouffée d’éternité.

La Guerre d’Alan vol. 3
d’Emmanuel Guibert
Éd. L’Association, 2008, 122 p.

La Guerre d'Alan vol. 3
La Guerre d’Alan vol. 3
Emmanuel Guibert
L’Association