Annie Proulx : Des fleurs et des épines
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Annie Proulx : Des fleurs et des épines

Annie Proulx fait preuve de toute sa maestria avec C’est très bien comme ça, un recueil de nouvelles cru, évocateur et violent, d’une beauté à couper le souffle.

Peu de noms sont à ce point synonymes de promesse. Ouvrir le dernier Annie Proulx, c’est s’exposer à beaucoup de choses, y compris un certain inconfort et parfois une incompréhension devant les chemins empruntés, mais c’est d’abord l’assurance d’entrer sur un territoire fascinant, qui a les contours et la nature drue du Wyoming mais qui est loin de s’y limiter. Ainsi en va-t-il des neuf nouvelles que renferme C’est très bien comme ça.

Dans un va-et-vient entre le temps présent et le temps des colons de l’Ouest, défricheurs à la vie dure et aux rêves démesurés, la nouvelliste montre que si les choses ont un peu changé entre les deux, si la nature est un peu moins indomptée qu’avant, il y a toujours aussi peu de certitudes sur les sentiers de la vie. Que ses protagonistes soient de vieux cow-boys se mourant dans un foyer pour personnes âgées ou encore de jeunes mariés partis défricher un coin de terre dans les années 20, ils sont les uns comme les autres ballottés par une nature qui les dépasse et, tôt ou tard, les avale. Avec La Grande Coupe grasse de sang, Annie Proulx remonte même 2500 ans en arrière, imaginant l’histoire de chasseurs vouant leur vie à l’hypothétique passage d’un troupeau de bisons, qu’ils sauraient peut-être précipiter du haut d’une falaise de calcaire et qui les nourriraient pendant plusieurs lunes.

La plupart du temps réalistes, les nouvelles portent souvent une part de magie. Mais sans doute est-ce plutôt des fantasmes qui prennent corps, comme dans L’Enfant armoise, où l’on voit une pauvre femme ne pouvant avoir d’enfants s’éprendre d’une armoise (plante herbacée) et la dorloter comme si elle était née de sa chair. De fait, l’arbuste aura bientôt des réactions très… humaines. Ce qui, on le verra, n’est pas exactement une bonne chose.

On trouve dans C’est très bien comme ça quelques-unes de ces nouvelles à la Brokeback Mountain, si riches que l’on pourrait en tirer un roman complet, voire un long métrage – rappelons que le chef-d’oeuvre d’Ang Lee était au départ l’un des textes du recueil Les Pieds dans la boue (Rivages, 2001). Parmi celles-là, Les Vieilles Chansons de cow-boys, l’histoire d’Archie et Rose. Histoire d’amour qui commence bien, vers la fin du 19e siècle, bercée par les airs que chante Archie de sa voix d’or, mais qui encore là va se heurter à une nature aussi féroce que grandiose.

Deux textes contrastent fort avec l’ensemble, dans lesquels on rencontre nul autre que le Diable. Dans J’ai toujours adoré cet endroit, ce dernier, de retour de la Foire internationale de décoration de Milan et jaloux de ce qu’il y a vu, entreprend de réaménager l’Enfer. En attendant que son royaume s’étende ici-bas… "La Terre, sans qu’il ait à fournir le moindre effort, deviendrait l’Enfer bis. Entre-temps il se proposait de moderniser les installations actuelles."

Ces parenthèses aux abords du Styx ne sont pas les meilleurs moments du recueil, mais elles respirent le cynisme intelligent et ponctuent l’ensemble d’audacieuse manière, faisant la preuve qu’Annie Proulx ne fait pas que rouler sur son fonds de commerce et questionne encore un genre dont elle est sans conteste l’une des plus brillantes représentantes états-uniennes.

C’est très bien comme ça
d’Annie Proulx, traduit par André Zavriew
Éd. Grasset, 2008, 320 p.

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