Jonathan Littell : Les origines du mal
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Jonathan Littell : Les origines du mal

Dans Le Sec et l’Humide, l’auteur des Bienveillantes propose une lecture psychanalytique d’une figure singulière de la Deuxième Guerre, Léon Degrelle. Une réalité qui a nourri sa fiction.

Un avertissement d’abord, pour ceux qui seraient tentés de se ruer sur le "nouveau" Littell: ce petit livre qu’il fait paraître – 144 pages et beaucoup de photos – entretient un fort lien avec le best-seller paru en 2006, mais il est de nature bien différente. Et un peu déroutante, entre nous.

Court essai dans lequel son auteur prend toutes les libertés, Le Sec et l’Humide aborde, sous l’angle de la psychanalyse, le parcours du très étonnant Léon Degrelle (1906-1994), homme politique belge de droite qui a complètement adhéré à l’idéologie nazie, gravissant un à un les échelons jusqu’à jouer un rôle de premier plan dans l’armée SS wallonne. Ce fou, on s’en doute, a inspiré pour une bonne part Maximilien Aue, le personnage central des Bienveillantes (le présent texte a d’ailleurs été écrit avant le célébrissime roman).

Pour l’essentiel, Jonathan Littell articule son propos autour de deux livres, qu’il met en relation. D’une part, La Campagne de Russie, publié par Degrelle en 1949 et dans lequel ce dernier, n’hésitant pas à remodeler un peu les faits, travaille à édifier sa propre légende et à rappeler que les choses auraient pu tourner autrement ("Le Reich a perdu la guerre. Mais il eût pu parfaitement la gagner."). D’autre part, Männerphantasien (Fantasmes mâles, tomes 1 et 2; jamais traduits en français), regroupant les thèses du chercheur allemand Klaus Theweleit (qui signe d’ailleurs la postface du livre) selon lesquelles les protagonistes fascistes partageraient jusqu’à un certain point, en raison d’une évolution psychique interrompue et d’un Moi jamais complètement advenu, une peur panique de la "dissolution des limites corporelles", peur du visqueux comme de la femme érotique, peur en somme de tout ce qui liquéfie les corps. À cela, le fasciste en puissance répond par la recherche du sec et de l’organisé, en adoptant une position aussi verticale que possible.

Pour illustrer la théorie, Littell répertorie par exemple tous les termes liés à l’humide et au visqueux dans le récit que fait Degrelle des avancées des troupes SS dans "l’effrayante boue russe": "limon putride", "barbotières obscures", "eau fangeuse", "vasières visqueuses" et tant d’autres expressions reviennent en effet sans cesse. Devant ce déferlement hostile, le mâle-soldat n’aurait pas le choix: "Pour faire face à cette fange, écrit Littell, pour tenir, une seule solution: se raidir encore plus."

Difficile de dire à quel point Littell a raison ou tort dans sa lecture de la tentation nazie – seuls des spécialistes de ces questions pourront juger de la valeur de ses arguments. Pour l’heure, soulignons l’évidence: avec ce texte concis et nerveux, accompagné de photos qui donnent froid dans le dos (celles entre autres où on voit le führer en personne témoigner de beaucoup d’affection pour Degrelle; celle où, accompagné de ses enfants, ce dernier participe à un défilé nazi, le visage hilare et le bras tendu bien droit…), le célèbre romancier ajoute sa voix à ceux qui voient dans le nazisme moins un système politique et économique qu’une entreprise "de production de réalité", dont les causes ne sont pas nécessairement là où on les cherche.

Le Sec et l’Humide
de Jonathan Littell
Éd. Gallimard/L’Arbalète, 2008, 144 p.

Le Sec et l'Humide
Le Sec et l’Humide
Jonathan Littell
Gallimard