Pascale Quiviger : Roman à clés
Pascale Quiviger, lauréate d’un Prix du Gouverneur général pour son roman précédant, propose avec La Maison des temps rompus l’un des premiers titres significatifs de la rentrée.
C’est un livre-puzzle, de ces puzzles dont les morceaux ne sont pas tous d’égal intérêt mais dont l’ensemble finira par représenter plus que la somme de ses parties. Nous sommes prêts à donner le bénéfice du doute, faut-il souligner: Pascale Quiviger, essayiste, nouvelliste et romancière née à Montréal et vivant actuellement en Angleterre, s’est mérité le Prix du gouverneur général 2004 pour son magnifique roman Le Cercle parfait (L’instant même), qui a aussi été finaliste pour le prix Giller, et sa dernière livraison, La Maison des temps rompus, a déjà été repérée par le jury du prix du Roman FNAC, qui sera remis le 1er septembre à Paris.
Une auteure que le milieu suit de près, donc. Il n’empêche, le nouveau titre tarde à convaincre. Difficile de croire tout à fait à cette femme, narratrice du premier segment d’un roman qui comptera cinq "cahiers" et quelques textes périphériques, qui renonce peu à peu au monde et se laisse ensorceler par une petite maison de bord de mer. Difficile d’y croire parce qu’on pense inévitablement à des histoires similaires qui avaient séduit d’emblée (La Notaire de Patrick Nicol, par exemple), nous épargnant des idées archi-usées ici servies avec une assurance qui crée le malaise (un exemple: cette femme mystérieuse, qui vend la maison sans donner de précisions sur ce qui l’attend, elle, et dont notre narratrice réalisera que son image ne s’imprime pas sur les négatifs de photos prises lors d’une visite des lieux… Bonjour l’originalité.).
Dans ces premières pages, la langue est par ailleurs alourdie par un désir un peu trop manifeste d’enjoliver, de donner aux mots une épaisseur poétique. Et puis hop! Au moment où le livre menaçait de nous tomber des mains, voilà que le chapitre "L’âge tendre" (le premier des "cahiers") démarre sur les chapeaux de roues, dans une langue qui paraît beaucoup plus serrée, plus seyante, et nous donne à voir la très émouvante amitié qui va lier Claire et Lucie, deux fillettes provenant de milieux très différents mais qui, plus le temps passe, sembleront être bel et bien "les branches d’un même arbre".
Le personnage de la mère de Lucie va prendre beaucoup d’importance dans le récit, elle qui élève sa fille seule, avec très peu de moyens, mais qui sait conférer à l’enfance des deux amies un aspect magique, répondant à leurs questions par de grandes histoires fabuleuses. "Il semble parfois à Lucie que les histoires d’Aurore poursuivent passionnément un objectif caché: expliquer qui elle est sans devoir s’exposer. D’une manière ou d’une autre, elles commencent à lui poser problème et Lucie s’interroge de plus en plus sur la nature de la vérité."
La nature de la vérité, telle est la grande question qui sourit entre les lignes, tandis que s’organise entre des personnages au départ éloignés les uns des autres tout un tissu, des liens qui agiront comme un ciment et donneront au tableau une indéniable cohérence. Au passage, l’auteure saura développer des thématiques tels l’étendue de l’amour maternel, l’homosexualité, le besoin de croire dans un certain univers parallèle et ses consolations, le pouvoir des mots et la possibilité que donne la littérature de réécrire certains passages de la vie…
La mécanique finit par fonctionner très bien, on veut savoir ce qui relie toutes ces figures, certains personnages secondaires s’avançant parfois sur la ligne de front. Pascale Quiviger a pris bien des détours pour nous mener où elle l’entendait, mais elle aura ouvert en chemin de nombreuses pistes dans l’esprit du lecteur, qu’il lui appartiendra d’explorer plus avant.
La Maison des temps rompus
de Pascale Quiviger
Éd. du Boréal, 2008, 240 p.
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