Éric Dupont : Bestiaire
Deux livres ont suffi à Éric Dupont pour inscrire son travail parmi les jeunes oeuvres les plus éloquentes de notre littérature. Après les convaincants Voleur de sucre (Prix Senghor de la francophonie) et La Logeuse, titre gagnant du Combat des livres 2008 à Radio-Canada, celui qui enseigne également la traduction à l’Université McGill fait paraître son roman le plus ambitieux et le plus abouti. En puisant dans les souvenirs de son enfance gaspésienne, il nous donne à voir, de l’intérieur, une famille éclatée bien de son temps: le jeune narrateur et sa soeur, séparés de force de leur mère et entraînés sur les routes par un père agent de police dont la vie amoureuse plurielle – il aura six femmes – lui mérite le nom d’Henri VIII, vont se frotter très tôt aux contradictions d’une société que les JO de 1976 n’ouvrent qu’à moitié sur le monde. On entre dans le vif des épisodes marquants d’une vie, fichés dans la mémoire et qui n’attendent qu’un prétexte pour s’éveiller: «Encore aujourd’hui, tout déplacement sur la route 132 à l’est de Rivière-de-Loup me plonge dans un état second. Quelque chose me dérange. Malgré le paysage d’une beauté saisissante, malgré la gentillesse des gens et l’odeur de la mer, je sens une pression sur les poumons m’indiquant que je m’éloigne de là où je devrais être.» Ce qui aurait pu n’être qu’une chronique touche à la littérature et pas la moindre, et si Éric Dupont ne peut, parfois, s’empêcher d’en faire beaucoup, d’être au bord du verbeux, on salue l’invention, la sensibilité, la portée du regard. Le talent, quoi. Éd. Marchand de feuille, 2008, 312 p.