Jean-Paul Enthoven : Ce que nous avons lu de meilleur
Avec Ce que nous avons eu de meilleur, Jean-Paul Enthoven signe un roman autobiographique aux accents proustiens, très jet set mais terriblement émouvant.
Le roman s’ouvre sur un éveil, "un lent retour à la surface" du genre que l’on éprouve après une longue méditation ou une profonde nuit de sommeil. C’est l’aube à Marrakech et Enthoven est sur le toit de la Zahia, "palais de la Medina au décor envoûtant et délicieusement nécrosé" que fréquentent depuis des générations quelques happy few choyés par le siècle. De là-haut, caressé par la brise du désert porteuse de "parfums de cannelle, de rosée, de crottin", il contemple le vol des étourneaux, épie le ballet des domestiques qui s’affairent déjà. C’est un moment "parfait".
Mais quelle est cette demeure? Ce fut, il y a longtemps, celle de Talitha Getty, "grande prêtresse dans la religion du risque: alcool, poudres, opium, sexualité déchaînée et imaginative". Truman Capote, Marlon Brando puis Brian Jones y avaient leurs habitudes.
À la mort tragique de Talitha, la maison change de maîtres, est occupée par Delon pour être enfin "conquise" par le meilleur ami de Jean-Paul: Bernard-Henri Levy, pudiquement appelé, ici, Lewis. Le philosophe globe-trotter lui ouvre les portes de la Zahia, où il aura sa chambre désignée. Celle "de Brando". Suit alors la chronique de ses journées passées entre les murs du palais de la joie.
Ce que nous avons eu de meilleur est un roman d’amitié écrit comme une lettre d’amour. L’amitié, c’est celle sans borne qu’il porte à Lewis et à sa femme Ariane (Arielle, bien sûr) qui pratiquent, en tandem, un "monothéisme amoureux" extravagant dont Jean-Paul décrit les touchantes particularités avec admiration. À leur contact, il se laisse rêver au jour "où il avancera d’un pas serein vers l’élue de son coeur dont il ne lui reste plus qu’à préciser les traits". Serait-ce cette fille "aux yeux de jeune pluie" dont il croise le regard lors d’une des nombreuses réceptions dont il sera l’invité?
Il nous présente un BHL d’exception, un homme farouchement fidèle, brillant, courageux et drôle. On est surpris de découvrir sa passion pour Malko Linge, le héros de SAS, la série de romans d’espionnage de Gérard de Villiers: "Je compris, un jour, que face à n’importe quel problème Lewis affectait de ne se poser que deux questions: Qu’aurait fait Sartre? Qu’aurait dit le prince Malko?" Jean-Paul, lorsqu’il est en compagnie de Lewis, "retrouve ses réflexes d’adolescent".
Entre les chapitres, des interrogatoires où le narrateur est cuisiné par un enquêteur anonyme. S’agit-il du tribunal de sa conscience? De la police divine? Allez savoir! Mais ces dialogues un peu secs qui brisent le rythme lent et cadencé du roman en sont certainement sa colonne vertébrale. Parce que l’auteur s’y trouve seul, délivré des effets de miroir de la Zahia.
Enthoven manie une langue douce et claire. Ce bel hommage à L’Éducation sentimentale de Flaubert auquel il emprunte une réplique pour en faire son titre a tout le charme vieux-jeu d’un roman du XIXe. Enthoven parle de lui, mais ne tombe jamais dans le piège de l’autofiction nombriliste. Il nous fait le cadeau d’un livre d’une beauté rare. Dans le genre, c’est, de mémoire, ce que nous avons lu de meilleur.
Ce que nous avons eu de meilleur
de Jean-Paul Enthoven
Éd. Grasset, 2008, 212 p.