Serge Patrice Thibodeau : Porter sa croix
Livres

Serge Patrice Thibodeau : Porter sa croix

Serge Patrice Thibodeau ancre son travail poétique dans les textes sacrés, autour de la figure de Judas. Une façon pour lui d’approfondir les thèmes de la trahison et des amours interdites.

L’écrivain acadien Serge Patrice Thibodeau n’a pas froid aux yeux. Ce poète au long cours, plusieurs fois primé – il remportait l’an dernier un deuxième Prix du GG pour Seul on est -, directeur littéraire des Éditions Perce-Neige, marche aujourd’hui sur un territoire pour le moins sensible et, en apparence, peu propice à la poésie contemporaine. Les sept dernières paroles de Judas s’articule en effet autour de celui qui a livré Jésus et des motifs profonds qui l’auraient guidé.

Ce projet, que l’auteur a porté pendant une dizaine d’années, il aurait bien pu demeurer dans la sphère de ce que ce dernier appelle la "littérature privée", Serge Patrice Thibodeau étant convaincu que toute poésie n’est pas nécessairement bonne à publier. N’eût été de l’enthousiasme du regretté poète et directeur littéraire Robbert Fortin, c’est sans doute ce qui serait arrivé. "Il tenait à ce que ce texte paraisse, il m’a beaucoup encouragé en ce sens." Le recueil est d’ailleurs dédié à la mémoire du fondateur de la collection "L’appel des mots" à l’Hexagone, disparu en avril dernier.

C’EST ECRIT

Ce qui distingue ce livre, et qui pouvait faire douter de son potentiel de diffusion, c’est l’appui que le poète va prendre sur des épisodes bibliques pas particulièrement au goût du jour. Or, celui qui a déjà signé un oratorio consacré à Marie-Madeleine s’est toujours intéressé à la quête du sacré et aux couleurs qu’elle donne à l’écriture. Il sait la nature éternelle de certaines thématiques. "Je vis avec Marie de Magdala depuis 1987. C’était mon sujet de mémoire de maîtrise à l’UQÀM, et c’est en travaillant sur le personnage que j’ai rencontré Judas… Rapidement, j’ai vu qu’il y avait là une matière très riche."

Serge Patrice Thibodeau est interpellé, entre autres, par tout le flou et les sous-entendus avec lesquels sont décrites les relations qu’entretiennent Jésus et Judas, cet éternel coupable. "J’ai toujours été fasciné par le thème de la trahison entre hommes, trahison qui est toujours mêlée à une histoire d’amour ambiguë. Je me suis donc intéressé de près à cette figure, à travers les textes mais aussi l’iconographie; j’ai lu Genet, chez qui le thème revient beaucoup. Puis j’ai décidé, à travers ces poèmes, de donner la parole à Judas."

Judas, personnage déjà annoncé dans l’Ancien Testament, et dont on sait qu’il naît avec le destin de livrer Jésus. Thibodeau explore l’immense tourment qui est le sien. "Il est l’instrument de Dieu. Il sait qu’il doit le faire, mais ce qui devient intéressant, c’est qu’il n’en a pas du tout envie: il aime le Christ plus que tous les autres."

L’histoire suit néanmoins son cours, la tragédie est écrite à l’avance et le Christ le sait. "Les Évangiles disent, tel quel, que Jésus et Judas se sont effleuré la main dans le panier de pain, lors du dernier repas, et qu’à ce moment, Jésus lui a dit: "Ce que tu dois faire, fais-le.""

Cette curiosité poétique aura-t-elle une résonance chez les plus jeunes? "C’est très référentiel, convient Serge Patrice Thibodeau. Il faut avoir lu les Évangiles pour comprendre de quoi il s’agit, j’en suis conscient." Eh bien voilà une bonne raison de s’y mettre. Et à sa décharge, soulignons le caractère fort actuel d’un texte dont les habiles anachronismes universalisent le propos. À travers ces tableaux millénaires, avions, pistolets incapacitants et autres digressions montrent bien que le poète se joue des époques, et s’adresse d’abord à ses contemporains.

Les sept dernières paroles de Judas
de Serge Patrice Thibodeau
Éd. de l’Hexagone, coll. "L’appel des mots", 2008, 80 p.

ooo

LES SEPT DERNIERES PAROLES DE JUDAS

En donnant la parole à Judas, le coupable d’entre les coupables, celui qui a trahi Jésus, Serge Patrice Thibodeau s’inspire librement de certaines théories relatives à la vraie nature de sa relation avec le Christ. Amour physique autant que spirituel, ici, que son rôle de traître désigné ne fait que cristalliser dans la tragédie. Ses "dernières paroles" prennent la forme de sept segments divisés en sept septains, cris du coeur explorant la trahison entre hommes, les amours décrétées impossibles, le sentiment d’être abandonné par Dieu: "Je suis le treizième et le maudit", lancera Judas, ou encore: "Je suis la face cachée de l’homme."

L’équivoque baiser du jardin, la condamnation du Christ, la pendaison au sureau noir, les références sont nombreuses dans un texte qui demeure, avant tout, un chant d’amour: "Je l’ai aimé plus que tous les onze / Réunis; abattu, j’ai posé le front / Sur chacun de ses pas."

Les sept dernières paroles de Judas est le premier volet d’un triptyque dont les prochains s’intituleront Marie de Magdala et Thomas et son double, autour de deux autres personnages controversés des Évangiles canoniques.

Les sept dernières paroles de Judas
Les sept dernières paroles de Judas
Serge Patrice Thibodeau
De l’Hexagone