Thomas Wharton : Degrés de lecture
Thomas Wharton propose un voyage hautement éclectique dans l’univers du livre et dans l’instant quasi sacré de la lecture.
Dans la Chine féodale, par une cruelle ironie du sort, l’inventeur du papier est sommé de s’enlever la vie dans un message rédigé sur le support même de sa propre découverte. Peu après la conquête du Mexique par Cortés, les Espagnols brûlent les livres des Mayas dont certaines légendes sont illustrées sur du papier d’écorce fait pour être mangé. Au vingtième siècle, près de Jasper en Alberta, un jeune homme se plaît à parcourir les chambres encombrées de bibliothèques de l’élégante maison de ses voisins…
De la mythique Atlantide aux Prairies canadiennes, les histoires de livres les plus diverses se succèdent et s’enchevêtrent dans le dernier ouvrage de Thomas Wharton. Les lecteurs ayant apprécié le roman Un jardin de papier (Prix du Gouverneur général 2006 pour la meilleure traduction, réalisée par Sophie Voillot) renoueront facilement avec la manière de cet écrivain qu’obsèdent les bibliothèques et les personnages oeuvrant de près ou de loin dans le monde littéraire. À cela près que Logogryphe, avec son rassemblement de nouvelles et de fragments hétéroclites, verse encore plus dans l’allégorie et le fantasme, comme l’évoque d’ailleurs son sous-titre Une bibliographie de livres imaginaires. Rien n’y empêche, par exemple, de se retrouver face à un livre sans pages ou qui se réécrit lui-même dès qu’on le quitte, de faire connaissance avec un personnage éjecté hors d’un roman ou d’être initié aux principes de la "lecture aquatique"…
Oeuvre inclassable où un concentré d’érudition scientifique et culturelle à la Jules Verne s’étale sous nos yeux, Logogryphe mêle les références littéraires, réelles et inventées, sans que s’en dégage tout à fait un propos d’ensemble. Le lecteur, qui acceptera tout bonnement de se laisser porter par les élucubrations sympathiques de Wharton, y décèlera une sorte d’hommage au rêve, à la magie et à la part de mystère qu’a recelés l’écriture à travers les âges et sur les différents continents. La quête du livre idéal, "catalogue de désirs inassouvis", "charriant les aspirations, les espoirs, en un mot les rêves de l’humanité", y transparaît à chaque page, trahissant entre les lignes la croyance dans la supériorité du genre romanesque.
Tandis que le communiqué de presse de la maison Alto évoque un écho aux "plus belles pages de Borges ou Calvino", je n’ai pu m’empêcher de trouver des ressemblances entre ce livre et d’autres oeuvres canadiennes contemporaines, celles d’Alberto Manguel ou de Nicolas Dickner, par exemple. Le style itératif, fait d’énumérations et d’accumulations, confère un aspect d’inventaire encyclopédique au recueil, que les données soient ou non exactes. Dans Logogryphe, ce procédé, ludique au départ, peut finir par lasser par son caractère même, basé sur la répétition, et parce qu’il nous dévoile au fur et à mesure sa propre artificialité. Les passionnés de littérature se sentiront quand même interpellés par cette oeuvre hors du commun, portée par une voix au romantisme précieux, proche de l’exaltation mystique.
Logogryphe
de Thomas Wharton
Traduit par Sophie Voillot
Éd. Alto, 2008, 194 p.