Ivy : Ivy mental
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Ivy : Ivy mental

L’explosion du phénomène des slams de poésie a permis à Ivy de renaître tel un phénix. Entretien avec l’auteur de Slamérica.

Bien avant Internet et la "crise du piratage", ses premiers textes furent copiés sur des milliers de cassettes à travers le Québec alors qu’il s’adonnait à la chanson au sein du légendaire duo Ivy et Reggie. Les années passèrent et Ivy eut une révélation: "Quand j’ai vu que le slam, avec juste des paroles, ça pouvait faire triper autant de monde que ça, et qu’il pouvait se ramasser 500 personnes dans un amphithéâtre dans une ambiance de show rock pour des poèmes, je n’avais jamais vu ça. Le slam, c’est tout le monde qui peut en faire. Tu peux très bien gagner un slam de poésie même si c’est ton premier poème juste parce que ce soir-là, tu as touché le monde. Dans le fond, un slameur, c’est un poète qui tient compte du micro, de la scène et de la foule."

Depuis ce temps, son obsession pour l’écriture a pris tout son sens et l’a amené dans une orientation jusque-là imprévue: "Au moment où je suis tombé dans le slam, professionnellement, il n’y avait plus grand-chose qui se passait et en plus je venais de finir un recueil de poésie qui s’appelait Les corps carillonnent. C’était un genre de poésie intimiste du Noroît, mais c’était une espèce de revanche personnelle. Finalement, je me suis mis à faire des textes de création parlés à CISM et à Radio-Canada, j’ai essayé d’intéresser le monde au slam. De fil en aiguille, on m’a invité à animer dans un bar, on a fait des bancs d’essai de slam et c’est là que j’ai décidé de fonder la ligue de slam."

Curieusement, alors qu’une foule de gens qui ne sont pas nécessairement issus du milieu littéraire s’intéressent au slam, ceux qui auraient pu se sentir interpellés ne répondent pas vraiment à l’appel, au dire d’Ivy: "À la base, j’avais fait le banc d’essai chez les poètes, mais les poètes ont très rapidement tourné le dos à ça. C’est un peu ridicule parce qu’ailleurs dans le monde, les poètes font du slam. Pour moi, c’est une corde de plus à l’arc des poètes et c’était peut-être une façon de faire qui pourrait les aider à gagner leur vie, mais c’est chacun son obstination."

Maintenant qu’on peut dire qu’Ivy s’est en quelque sorte transformé en apôtre du slam, il cultive particulièrement un souhait: "Si ça pouvait faire au moins le même effet que ça m’a fait quand je suis tombé là-dedans en 2004, ça va faire des flammèches. Ça m’a changé bout pour bout artistiquement parlant, mais aussi en termes de croyance en l’être humain. C’est arrivé pile à un moment donné de ma vie."

Mais en plus d’avoir permis à Ivy un certain épanouissement, sa conversion a eu un autre aspect positif plutôt ironique: "En fait, c’est comme si tous les défauts que j’avais depuis 10 ans étaient devenus mes qualités." Toutefois, le poète ne cache pas que le slam est une continuité de ce qu’il avait entrepris au sein d’Ivy et Reggie. Certains se souviendront avec plaisir des textes lyriques et caustiques que le duo livrait dans ses chansons et, selon Ivy, cet esprit est toujours présent dans ce qu’il nous propose. Ici, ce qui constitue le changement est davantage une question de livraison: "C’est pas mal différent avec le show de Slamérica. C’est un show de slam, donc la relation avec le public est beaucoup plus intéressante que celle d’avant, où je jouais devant du monde qui se tirait en l’air! Mais c’est pareil dans le sens que c’est un travail avec les mots. Avant, j’offrais au monde ma création, mais maintenant, c’est un échange. Je les amène à s’amuser avec les jeux de mots… Avant, ça passait un peu free."

Après toutes ces années à avoir foulé les scènes du Québec par l’intermédiaire de la chanson, arrive-t-il à son vieux comparse Reggie d’éprouver une profonde nostalgie quant à cet univers souvent incompréhensible qu’est l’industrie du disque? La réponse d’Ivy est on ne peut plus éloquente: "Je rencontre plein de mes chums qui sont dans l’industrie de la musique et souvent, il y en a qui me disent tout déçus qu’ils n’ont pas été nominés à l’ADISQ. Et moi, je leur réponds qu’il n’y a même pas de catégorie pour ce que je fais. En France, ils ont créé une catégorie pour le slam quand est arrivé Grand Corps Malade, mais nous autres ben… C’est là qu’on voit la différence entre un petit peuple et un grand peuple."