Julie Gravel-Richard : Chemin de croix
Julie Gravel-Richard montre bien, avec Enthéos, le temps qu’il faut parfois pour que se rallume le feu intérieur.
Quand elle a mis en chantier Enthéos, Julie Gravel-Richard ne doutait de rien. Ou doutait de tout, selon le point de vue. Placer dans un premier roman tout un questionnement sur la perte de la foi et la recherche de nouveaux repères existentiels, mais aussi le fruit d’une réflexion sur l’amitié, l’amour, la maladie, la trahison, le deuil, la valeur des connaissances historiques et on en passe, avec le projet de lier tout ça en un roman simple et accessible – ce en quoi elle a atteint son but -, c’était ambitieux, pour le moins.
La jeune professeure en civilisations anciennes au cégep François-Xavier-Garneau, détentrice d’une maîtrise en histoire grecque, se souvient des premiers pas. "Quand on fait une maîtrise, on devient assez isolé, toujours devant l’ordinateur, on est beaucoup dans notre tête. Cet aspect, que j’ai connu, m’a inspiré le personnage de Thomas, mais je crois que j’ai d’abord voulu créer un personnage qui décide un jour, très rationnellement, de tout mettre de côté, y compris ses convictions, pour se rebâtir."
Évidemment, on ne peut évacuer si facilement ce qui fait de l’humain un humain: sa sensibilité, ses élans de passions, de colère. "Il est clair pour moi que le bonheur, ou le goût de vivre, on ne peut le retrouver qu’en laissant libre cours à l’intuition, au désir, à la douleur, à la vie qui nous traverse, peu importe qu’on l’appelle le divin ou autre chose."
"Enthéos", en passant, signifie grosso modo "avoir un dieu en soi". Titre beau et pertinent pour un livre qui réfléchit à l’athéisme et à ce qui y conduit, et qui suggère entre les lignes un rapport personnel et tonique avec le spirituel, à ce qui est plus grand que l’être et son enveloppe: "La foi, ce peut être en un dieu, dit Julie Gravel-Richard, mais aussi en soi-même, et dans la capacité humaine à faire face à l’existence."
MATIERE PREMIERE
La rédaction d’Enthéos, on s’en doute, avait quelque chose de grisant pour quelqu’un qu’habitent ces questions-là. Elle comportait aussi son lot de difficultés techniques, et quelques dangers. "Je connais bien cette matière, elle me passionne, et ça m’a permis d’enrichir mon propos. En même temps, il y avait le risque de perdre le lecteur, parfois, en abordant des notions liées aux langues mortes et à la mythologie." "Heureusement, Julie voulait s’adresser à tout le monde", souligne Éric Simard, son directeur littéraire, présent lors de l’entrevue. "Elle ne voulait pas d’un roman "universitaire", et elle était très ouverte aux suggestions quand il était question d’alléger un peu, de laisser la place aux sentiments."
Avec pour résultat un livre accessible, pas savant pour un sou. Grand public, même. "Ce qui me rassure, c’est que beaucoup de lecteurs disent avoir aimé Enthéos même s’ils connaissent mal ces sujets. On me dit que ça donne envie de lire là-dessus…" À ce titre, on trouvera un glossaire sur le site des Éditions du Septentrion, pour ceux qui voudraient approfondir (www.septentrion.qc.ca).
Julie Gravel-Richard n’aura pas mis à contribution que son expérience professionnelle. À travers le personnage d’Elsa Fontaine, jeune prof tout comme elle et dont Thomas tombera amoureux, on explorera le rapport à la maladie. "J’ai connu moi-même de sérieux problèmes de santé, la maladie a été et reste présente autour de moi, et bien sûr, elle donne un relief à ces grandes questions que porte le roman. Des questions qui sont toujours les mêmes, au fond: Qu’est-ce qui arrive quand on meurt? Est-ce que ça a valu la peine de vivre?"
À défaut d’y répondre, Julie Gravel-Richard les pose avec beaucoup d’éloquence.
Enthéos
de Julie Gravel-Richard
Éd. du Septentrion, coll. "Hamac", 2008, 270 p.
Enthéos
Thomas est habité par tant de fantômes qu’il en devient peu à peu un lui-même. Depuis la mort de Christian, son frère jumeau, plus rien ne rime à rien, sa foi vole en éclats, à tel point qu’il met un terme à ses études en théologie pour se tourner vers les littératures anciennes. Entre deux de ces cauchemars qui le prennent à la gorge, il cherche de nouveaux repères, ce en quoi vont l’aider quelques rencontres déterminantes, de même que l’art, qui traverse Enthéos à travers des extraits des Nourritures terrestres de Gide, mais aussi des oeuvres musicales, le Stabat mater de Pergolèse par exemple. Un premier roman accompli, un peu scolaire certes dans son développement et sa manière de peindre les personnages, mais qui sonne l’arrivée sur la scène littéraire d’une auteure au bagage riche et au talent certain.