Olivier Rolin : La part du lion
Livres

Olivier Rolin : La part du lion

En brossant le portrait d’un olibrius haut en couleur et en maladresse, Olivier Rolin signe peut-être son chef-d’oeuvre.

Olivier Rolin ne pouvait savoir, en mettant le nez dans un livre acheté en Patagonie, il y a 25 ans, qu’il posait le pied sur une piste au bout de laquelle allait prendre forme, bien plus tard, son roman le plus puissant. L’auteur de L’Invention du monde et Port-Soudan découvrit alors l’existence d’un aventurier français de la fin du 19e siècle, Eugène Pertuiset, dont la vie fut la preuve ultime, s’il en fallait une, que le ridicule ne tue pas.

Ledit Pertuiset, entre autres activités, aura été artificier, marchand d’armes, inventeur d’une balle "explosible", aventurier des contrées lointaines et… chasseur de lions, bien sûr. Ou plutôt d’un lion, abattu en Algérie au terme d’une chasse rocambolesque et longtemps infructueuse. Ce n’en est pas moins dans ce rôle qu’il sera immortalisé par un jeune peintre à l’orée du succès, dont l’élégance contraste fort avec le "vaste et rubicond" Pertuiset (les intéressés trouveront aisément sur Internet le tableau Portrait de Monsieur Pertuiset, le chasseur de lion, d’un certain Édouard Manet – qui sera, étonnamment, l’un de ses plus fidèles amis).

Sous la plume virtuose de Rolin, on suivra l’abruti dans ses mille et un projets, en particulier dans une expédition loufoque en Terre de Feu, sur la piste du grand trésor des Incas! Tout en contant les aventures et surtout mésaventures de son sujet, Rolin parlera beaucoup de lui, dans de longues parenthèses où filtrent ses propres explorations de l’Amérique du Sud, teintées des couleurs d’amours évanescentes.

L’auteur se révèle très attaché à la figure de Manet, dont il racontera de façon poignante les derniers jours de sa lutte contre la syphilis. Manet qui, dans cette construction romanesque d’une maîtrise époustouflante, devient par moments le personnage principal, insaisissable dandy à l’enterrement duquel se presseront ses amis Mallarmé, Nadar, Monet, Zola… En plus du bougre évidemment. "Et lui alors, l’insolite balourd, qui a croisé ces vies, fait l’éléphant dans un magasin de porcelaines, lui qui n’a pas connu ce qu’était l’art, mais eu assez de sensibilité tout de même pour l’admirer, de loin, comme qui contemple un beau paysage, comment a-t-il pris congé? A-t-il fini sous la griffe d’un lion, ou bien assassiné par son boy, au bord d’un fleuve d’Afrique? La cirrhose l’a-t-elle emporté, vieux poivrot qui amusait du récit de ses aventures les habitués des bistros de Montmartre?"

La seule chose dont nous sommes sûrs, c’est qu’il a fini dans la littérature, et pas la moindre. Quiconque a lu Un chasseur de lions ne sera pas étonné, d’ailleurs, qu’il fasse figure de favori dans la course au Goncourt 2008.

Un chasseur de lions
d’Olivier Rolin
Éd. du Seuil, coll. "Fiction et Cie", 2008, 240 p.